mardi 27 avril 2010

Stèle virtuelle




La pierre tombale est un éclat de roche dressé contre un mur, à même le gravier. 


Quelques fiches techniques mentionnent son nom ― son énergie et sa débrouillardise lui avaient vite fait une réputation dans le métier d'accessoiriste, première station de son rêve de cinéma ― et c’est tout. Pas d'images. Sur Internet, en tout cas, c’est comme s’il n’avait pas existé. Et pourtant 
Cyril Maero (18 avril 1974 - 13 octobre 2001) a bel et bien vécu, avant de se tuer, au volant de sa moto, un soir d’automne, sur une route de montagne. 









Ici à dix-huit ans, quand je l’ai connu, étudiant en "lettres modernes" (j'avais eu l'honneur de lire des poèmes, allez savoir ce qu'ils sont devenus). Il faisait souvent des grimaces, avoir l'air con était une de ses spécialités. C'est l'une des deux photos que j'ai de lui. 







Les montagnes, il les connaissait bien. Il y avait grandi, me les avait maintes fois fièrement montrées, caressait le projet d'y tourner un western anarchiste, en partageait la solide santé.


Sa tombe les regarde. À l’instant où nous sommes arrivés devant elle, ce dimanche, il a plu. À peine quelques gouttes, pendant trois minutes, juste assez pour qu'un arc-en-ciel s’ébauche faiblement, droit devant. Cela m’a eu tout l’air d’un signe. 



Mais Cyril n'avait ni dieu ni maître. Romantique tendance Albator, c’est dire si ses excès étaient bon enfant, ce matamore collectionnait les éditions des Fleurs du Mal, avait d'abord rêvé d’être aviateur ; il faisait du planeur. Il y en avait un, posé sur l’herbe, devant le cimetière. Décidément ce pèlerinage bien des années après semblait avoir été réglé, en haut lieu, dans ses moindres détails, nous en avions pour notre peine. 




L’arc-en-ciel a disparu, un nuage d’un blanc pur s’est mis à dominer les lieux, dans un ciel d’orage. 
Cyril avait des yeux très clairs, de la droiture s'il jouait, en adolescent attardé, les durs et les rebelles ― il avait souvent, entre deux bitures, provoqué la maréchaussée, dans les derniers temps il s'assagirait. À quelques semaines d'intervalle, sa mort avait été notre 11 septembre ; las, ce n'était pas deux tours arrogantes mais notre insouciante jeunesse qui était, ce jour-là, partie en fumée. 



Encore un printemps de plus pour moi, de moins pour lui. Ce pays est le sien ; pour moi, son ombre y planera à jamais. Ce n'est pas la plus mauvaise raison d'aimer un paysage.







lundi 5 avril 2010

Enchaînements




"La musique creuse le ciel.
"
                                   Baudelaire, Fusées 




"dans cette province du ciel
 

après le blanc flashy des crashes
 
la couleur tendance
 
c’est le rouge
 
braise rouge accentué
 
par l’éloignement réciproque
 
la course de plus en plus
 
folle au loin dans le rouge
 
tout sombre ― j’aime
 
les objets sans nom
 
leurs bouillons brûlants"
 
 
                              Pierre Alferi, Les Jumelles




"Pour moi, j’aime les choses existantes ; je les aime comme elles sont. Je ne désire, je ne cherche, je n’imagine rien hors de la nature. Loin que ma pensée divague et se porte sur des objets difficiles ou bizarres, éloignés ou extraordinaires, et qu’indifférent pour ce qui s’offre à moi, pour ce que la nature produit habituellement, j’aspire à ce qui m’est refusé, à des choses étrangères et rares, à des circonstances invraisemblables et à une destinée romanesque, je ne veux, au contraire, je ne demande à la nature et aux hommes, je ne demande pour ma vie entière que ce que la nature contient nécessairement, ce que les hommes doivent tous posséder, ce qui peut seul occuper nos jours et remplir nos cœurs, ce qui fait la vie. "
               Senancour, Obermann




"je parle d'Amour comme s'il était une chose en soi, 

[…]
Laquelle chose, selon la vérité, est fausse 
puisque Amour n'existe pas en soi comme substance 
mais comme accident dans la substance."
                                                          Dante, Vita Nova 




"Ainsi va le monde, tas de fumier de forces instinctives, qui brille malgré tout au soleil en tons pailletés d'or et de clair-obscur." 

        Pessoa




"Le romantisme ? Je crois ne pas me tromper en considérant comme romantique ce qui ne vit plus qu’à moitié. Ce qui est abîmé, décrépi, malade, un très vieux mur d’enceinte par exemple. Ce qui ne sert à rien, ce qui est beau d’une manière mystérieuse, voilà ce qui est romantique. J’aime rêver à ce genre de choses, et à mon sens, il suffit d’y rêver. En fait, la chose la plus romantique qui soit c’est le cœur, et tout être capable de sentiments porte en lui des villes anciennes entourées de très vieilles murailles. "


                                  Robert Walser, La petite Berlinoise 



samedi 3 avril 2010

Finir par savoir




« Le vieux Sikorsky était devenu un familier de Beethoven le jeune, ça arrive quand on vieillit beaucoup, on finit par savoir ce qu'on aime, cette musique-là, pas une autre. » 
 

Christian Gailly, L'Incident