vendredi 21 novembre 2014

Camp retranché





Friedrich Cerha, Slowakische Erinnerungen aus der Kindheit n°9 
Marino Formenti, piano


(J'écris. Rien lu depuis septembre, excepté un peu de Hopkins, ce petit volume Büchner et les lettres de Capote. J'ai bien feuilleté quelques ouvrages, mais aucun d'eux — quel soulagement ! — n'était celui que je vais rêvant, ils n'avaient donc pas d'intérêt. Ils poursuivent leur propre obsession, quelle idée. Je sais que tant que j'écrirai tous leurs efforts pour me séduire tomberont piteusement à côté.)



mercredi 12 novembre 2014

Estamos en otoño






Blégiers (Alpes de Haute-Provence) et ses environs, lundi et mardi, con los niños Eluney y Mateo
Musiques : Étude boréale IV (début) d'I. Fedele, Drittes Zwischenspiel in O Mensch de P. Dusapin. 




lundi 10 novembre 2014

Ce travail affairé de la nature




Ivan Fedele, Étude boréale III — Pascale Berthelot, piano



24 septembre [1870]. — Vu pour la première fois l'aurore boréale. Mon regard a été attiré par des faisceaux de lumière et d'ombre […] Ils montèrent en rayonnant légèrement, jaillis de l'horizon. Puis je vis de douces pulsations de lumière s'élever l'une après l'autre et émigrer vers le haut en formant un arc, mais ondulé et brisé. Elles semblaient flotter, sans épouser la courbure de la sphère comme paraissent le faire les aérolithes, mais librement quoique concentriquement par rapport à elle. Ce travail affairé de la nature tout à fait indépendant de la terre et qui semblait se poursuivre selon un genre de temps incommensurable d'après nos computs de jours et d'années, mais plus simple et comme corrigeant la préoccupation du monde par le fait qu'il se préoccupait lui-même en en appelant à lui, en se datant d'après lui, du jour du Jugement, était comme un nouveau témoignage rendu à Dieu et m'emplit d'une crainte délicieuse. 

[G. M. Hopkins]



dimanche 9 novembre 2014

Bien entendu la cause





“Un jour, pendant la Longue Retraite (qui s’est terminée le jour de Noël), comme on lisait au réfectoire le récit de l’Agonie au jardin par sœur Emmerich, je me suis mis tout à coup à pleurer et à sangloter sans pouvoir m’arrêter. Je note cela parce que, si l’on m’avait interrogé une minute plus tôt, j’aurais protesté qu’il n’allait rien arriver de tel, et même quand cela se produisit, je m’étonnai en quelque sorte de moi-même, ne découvrant point dans ma raison les traces d’une cause adéquate à une si forte émotion — je dis les traces, car bien entendu la cause, par elle-même, est adéquate au chagrin de toute une vie. Je me souviens qu’il m’est arrivé à peu près la même chose le jeudi saint lorsqu’on porta l’hostie présanticfiée à la sacristie. Mais le poids et l’intensité de la peine, ou plutôt de la chose qui devrait nous causer de la peine, ne nous émeuvent pas plus d’eux-mêmes qu’un couteau tranchant et appuyé ne coupe aussi longtemps qu’on appuie sans que la main imprime aucune secousse ; cependant, il se produit toujours un contact, quelque chose qui vient nous frapper de biais, d’une manière inattendue et qui, dans les deux cas, supprime la résistance et perce ; et cet agent peut être si délicat que le pathos semble être allé directement au corps et avoir balayé l’intellect sur son passage. D’autre part, la touche pathétique, comme dans le pathos du drame, ne tirera par elle-même que des larmes légères si son contenu n’est pas important en soi ou de peu d’importance pour nous, une émotion puissante provenant d’une force qui s’est accumulée avant de se décharger ; c’est ainsi qu’un couteau pourra percer la peau qu’il n’avait fait qu’égratigner, tandis que le seul égratignement n’ira pas plus profond.” 

Gerard Manley Hopkins, Pages de journal 1869-1870


samedi 8 novembre 2014

Poésie de l'imprimerie


Découvert hier avec ravissement la tête toute noire du petit dernier. Elle a été conçue, comme la (bien belle) maquette, par Philippe Bretelle, qui précise à la fin du livre (bientôt imprimé sur un « offset bouffant classic 80 grammes ») que « La couverture bichrome est la résultante d’un passage pantone suivi d’un noir plein comme la nuit, le tout sélectivement vernissé en son titre sans réserve aucune ». Je ne suis pas sûr de comprendre ce que ça veut dire sinon que ça m’a l’air d’être du beau travail. La voici avec son bandeau ; on pourra la toucher du doigt le 18 mars prochain, date de lancement de la collection Constellation des éditions Hélium...







lundi 3 novembre 2014

Viser l'inscape




Igor Ballereau, Inscapes pour voix, 2 violons et 2 percussions (2006)
Words by Gerard Manley Hopkins from his note-books and journal (1864–1866)
II. [Distance / Dappled with diminish'd trees / Spann'd with shadow everyone.]



Cette rupture avec l'usage dans l'emploi de la plupart des éléments de style, ces bizarreries formelles répétées, requièrent sinon une justification — les poèmes s'en chargent bien ! —, mais une explication. Hopkins nous la fournit dans cette phrase d'une lettre à Robert Bridges : "Comme l'air, la mélodie est ce qui me frappe surtout en musique, et le dessin en peinture ; ainsi le dessin, le motif ou ce que j'ai coutume d'appeler l'inscape est ce à quoi je vise par-dessus tout en poésie." Qu'est-ce donc que cet inscape que nous laissons ici en anglais, ou plutôt en langage hopkinsien ? 
Le sens du suffixe scape apparaît dans le composé landscape (paysage). Un scape de land, c'est une unité visible de pays saisie individuellement et qui garde les caractéristiques essentielles de l'ensemble du pays. L'inscape d'un objet, d'un être, ce sera donc, sinon à proprement parler une unité de l'essence de l'objet, de l'être, du moins un composé unifié des qualités sensibles qui reflètent et permettent dans cette mesure même de pénétrer cette essence. Quant à traduire cela par un mot unique aussi organique et, en dépit de sa nouveauté, de consonance aussi familière, il n'y faut pas songer. 

[extrait de la Préface du traducteur (Pierre Leyris)
in G. M. Hopkins, Poèmes accompagnés de proses et de dessins, Seuil, 1980]



dimanche 2 novembre 2014

Glory be to God for dappled things




Gloire à Dieu pour les choses bariolées, 
Pour les cieux de tons jumelés comme les vaches tavelées, 
Pour les roses grains de beauté mouchetant la truite qui nage ; 
Les ailes des pinsons ; les frais charbons ardents des marrons chus ; les paysages 
Morcelés, marquetés – friches, labours, pacages ; 
Et les métiers : leur attirail, leur appareil, leur fourniment. 

Toute chose insolite, hybride, rare, étrange, 
Ou moirée, madrurée (mais qui dira comment?) 
De lent-rapide, d’ombreux-clair, de doux-amer, 
Tout jaillit de Celui dont la beauté ne change : 
                                                 Louange au Père ! 


Gerard Manley Hopkins, Beauté piolée [Pied Beauty]
[version de Pierre Leyris]



samedi 1 novembre 2014

Faites le calcul




La vie est dans l'ensemble quelque chose de vraiment beau et en tout cas elle n'est pas aussi ennuyeuse que si elle l'était deux fois plus. 

[Georg Büchner à Eugen Boeckel, le 1er juin 1836]