samedi 31 octobre 2015

Petite histoire #1



On m’a demandé d’écrire les légendes d’un livre d’images retraçant l’histoire de l’humanité, j’y travaille en ce moment. Brièveté et coq-à-l’âne, hasard des juxtapositions rendent la chose plutôt amusante à faire. Un petit exemple. 

Salomon, fils de David, est réputé grâce à la Bible pour la sagesse de ses jugements. Le plus fameux met en action l’adage plus de peur que de mal : donnant l’ordre de couper en deux, littéralement, le bébé que se disputaient sa fausse mère et la vraie, il reconnut celle-ci quand, pour sauver l’enfant, elle renonça à ses droits sur lui. Avouez que c’est malin. 

Désolé, la Muraille de Chine N’EST PAS visible depuis l’espace : il faut aller en Chine pour la voir. Avouez que c’est moins loin. 

Il y a des centaines de notes à rédiger, j’en donnerai un aperçu ici de temps en temps. Une dernière pour aujourd’hui : 

Un cerf, un cheval, un bison : il fallait avoir l’œil pour les dessiner de mémoire, avec les moyens du bord, au fond d’une grotte du Périgord noir. Les artistes de Lascaux ont bien du mérite, d’autant qu’ils durent attendre une bonne vingtaine de millénaires une gloire mondiale et le surnom assez flatteur de “Chapelle Sixtine de l’art pariétal”. Sa découverte par hasard fut l’une des très rares bonnes surprises de l’automne 1940.



jeudi 22 octobre 2015

Que les façades tiennent




Tu quittais les allées de tilleuls pour t’approcher des foules aux entrées des cantines, sur le seuil des bars et des restaurants, tu t’arrêtais, tu scrutais les visages et les gestes, les coupes et les étoffes des vêtements, le rituel des poignées de main et des regards. Quelles informations contenait cette façon un peu brusque de saisir un verre sur le comptoir, quelle quantité d’amour et d’avidité, quelle quantité de résignation dans tel ou tel regard ? Tu regardais, tu t’exerçais à regarder sans écouter, il fallait imaginer un film sans aucun dialogue, il fallait maîtriser parfaitement le cinéma muet, s’assurer d’avoir épuisé tout ce qui se communique par l’immobilité et le silence. 
Tu t’étonnais qu’il te faille tant de temps pour atteintre la place au bout là-bas, que tes membres inférieurs se soumettent avec retard aux influx de ton cerveau – car ton cerveau avait déjà cartographié la ville entière aussitôt qu’avait surgi la décision de sortir. 
Tu t’étonnais que les visages qui passaient à ta rencontre soient si calmes, qu’aucun cri ne déchire les bouches, qu’il n’y ait parfois pas de visage du tout en haut des corps, que les façades tiennent. 
Tu t’étonnais de ne pas pouvoir prendre le ciel avec ton poing, de ne pas pouvoir si facilement l’étaler entre les façades et les troncs d’arbres, afin peut-être d’accélérer les choses. 
Le monde exerçait parfois une certaine résistance, tu aurais recours aux machines quand le succès viendrait, tu quadrillerais les rues avec des rails et des travellings. 
Les feux passaient au vert sans sourciller, la même rumeur indistincte te parvenait, les réverbères s’allumeraient tout à l’heure, la vie continuait, le grand ébranlement de tout pour que rien ne change. 

Alban Lefranc, Fassbinder, La mort en fanfare, roman 
(Rivages, 2012)



samedi 17 octobre 2015

Scénario




Penser comme quelqu’un d’autre, pendant une minute, je veux dire vraiment, avec tout le bloc, passé, mémoire, conceptions, pulsions, l’attirail complet, sans penser forcément à quoi que ce soit d’ailleurs, simplement regarder avec les yeux d’un autre, regarder dans le vide aussi bien, alors disons sentir, sentir comme un autre, sentir comme un autre cette minute passer. Une minute seulement : plus, ce serait trop. Le choc serait tel, la stupeur certainement, l’horreur peut-être, et puis il s’agirait d’éplucher les données, ensuite, revenu dans son cerveau, son corps, or plus d’une minute, et encore, trente secondes pour plus de sûreté, une brève sonde foudroyante, prudente, médicalement assistée, c’est bien assez, sinon une vie n’y suffirait pas.


vendredi 16 octobre 2015

Copinages




Mes amis sont automnaux. François Matton a fait paraître chez P.O.L Oreilles Rouges et son maître la semaine dernière, Quidam publiera la semaine prochaine Pas Liev de Philippe Annocque. On gagne à connaître ces livres : ils y sont tous les deux méconnaissables. François Matton n’a pourtant jamais été autant François Matton que dans Oreilles Rouges (au pluriel et avec une majuscule à Rouges, rien à voir donc avec Oreille rouge) : à travers la petite dialectique inusable du valet et du maître, toujours plaisante à retrouver, entre bromance et concours de vannes, c’est le portrait en pied d’un poète bipolaire, mi serein mi paniqué, qui ne répond qu’à un mot d’ordre : rester léger — et les lecteurs de François Matton connaissent bien ce personnage-là. Seulement voilà, cette fois, il est bavard, il a des choses à dire, et il abandonne le dessin pour la ventriloquie. Il y a bien quelques croquis qui traînent de-ci de-là, mais c’est un livre, ça ressemble à un vrai livre, des libraires soulagés vont savoir où le ranger. Il était temps. 

Si mes amis sont automnaux, ils n’en sont pas moins divers (je sais, c’est lamentable). La folie chez Philippe Annocque n’est pas douce comme chez Matton. Elle ne l’était pas, déjà, dans ses deux derniers livres, Vie des hauts plateaux et Mémoires des failles, mais ces recueils en forme de puzzle étaient fatalement un peu joueurs, l’air du jeu circulait entre les pièces. Pas Liev est un roman et il est implacable comme le sont les romans, tendu vers sa fin. La sienne est terrible. Les “choses”, pour son héros bas de plafond comme le sont les plafonds chez Welles et d’ailleurs on dirait du Kafka (si vous me suivez), n’y vont “moins bien” qu’à la page 91, mais c’est dès la première que ça ne va pas fort, alors vous imaginez bien ce qu’il en sera page 138, qui est la dernière. Il y a une phrase très belle et tout à fait représentative de l’ensemble, à la page 129 : “Où n’était pas une question mais Qui était un problème.” Je me demande si ça marche avec Oreilles Rouges, que dit sa propre page 129 ? “Ne vous y trompez pas : cette fois le singe, dans mon dessin, c’est moi !” C’est drôle, les deux phrases ont l’air de se répondre. J'imagine que les troubles de l’identité sont dans l’air du temps.



mercredi 14 octobre 2015

Stay gold, Ponyboy, stay gold





Cinquante-cinquième minute d'Outsiders (1983) de Francis Ford Coppola, découvert à l'instant avec émerveillement ; j'avais raté ce sommet du kitsch hollywoodien tardif — et pour me rattraper j'ai versé une petite larme à la fin. 



samedi 10 octobre 2015

Le goût des banquets et des fêtes





Mahler et moi (1), nous avons passé beaucoup de temps ensemble. La maladie de cœur qui venait de se révéler le contraignait à mener une vie ascétique et il n'avait de goût ni pour les banquets ni pour les fêtes. Un lien s'est créé entre nous au cours de plusieurs promenades, durant lesquelles nous nous sommes entretenus des grands problèmes de la musique, de la vie et de la mort. Lorsque nous en sommes venus à parler de l'essence de la symphonie, je lui ai dit que le principal était la sévérité du style, et la logique profonde qui reliait entre eux, d'un fil secret, tous les motifs. Telle était l'expérience que j'avais acquise au cours de mon travail créateur. Mahler, quant à lui, a exprimé une conception tout à fait inverse : "Non, non, il faut qu'une symphonie soit comme le monde. Elle doit tout inclure."

(1) Jean Sibelius, cité par son premier biographe



vendredi 9 octobre 2015

Une infidélité du jeune Berg





Aujourd’hui, ma chérie, je t’ai été infidèle pour la première fois. Il faut que tu saches que j’ai une tout autre conception de la fidélité que la plupart des gens. Pour moi, la fidélité à un être est un sentiment, un état qui jamais n’abandonne celui qui aime, qui le suit comme son ombre, qui est devenu partie intégrante de sa personnalité — l’impression de n’être jamais seul, de s’appuyer sur lui ou de le soutenir toujours — en un mot, l’impression de ne pas exister sans l’être aimé en tant qu’entité unique et indépendante. C’est dans ce sens-là que je t’ai été aujourd’hui infidèle ! C’est arrivé dans le Finale de la symphonie de Mahler, tandis que j’éprouvais peu à peu le sentiment d’être arraché à ce monde, comme s’il n’existait plus rien que cette musique et que moi qui m’en délectais ! Et lorsque, écrasante et exaltante, elle s’est achevée, j’ai senti tout à coup une douce morsure. Une voix, en moi, a crié : “Et Helene ?” C’est alors que j’ai dû reconnaître que je t’avais été infidèle et c’est pourquoi je te demande pardon ! 

Alban Berg, lettre à Helene Nahowski, le 25 novembre 1907 
[cité par Henry-Louis de Lagrange in Gustav Mahler III. Le génie foudroyé]



dimanche 4 octobre 2015

Nuages et cortisone


Octobre a semble-t-il quelque chose à dire, une leçon à donner, tout tourne plus ou moins autour de la notion de vulnérabilité. 
Pendant ce temps, dans le service de pneumologie — et l'odeur soufrée des aérosols — la vie tourne autour de Nagui. L'infirmière-chef râle : la petite a encore oublié de scotcher le cathéter au poignet du malade. Dans le cercle des bancs face au perron de la clinique, malgré le vent froid, tout le monde fume. 






Igor Ballereau, Gegen das Gesicht [Briefe an F. n°6]
Jody Pou (v), Emily Manzo (p)

[küsste ich dieses fremde Papier lange mit geschlossenen Augen, bis es mir nicht mehr genügte und ich es ganz gegen das Gesicht drückte]

[j’ai baisé longuement ce papier indifférent, les yeux fermés, jusqu’au moment où cela ne m’a pas suffi et où je l’ai pressé tout contre mon visage] 

(F. Kafka, trad. Marthe Robert)



samedi 3 octobre 2015

Fatigue des apparences





Ah, vivre est lassant, d'un bout à l'autre, comme vous le disiez, une fatigue. Des apparences tout autour, au point qu'il faudrait une éternité pour leur rendre hommage, et à peine sont-elles entr'aperçues que d'autres viennent les chasser, lesquelles s'évanouissent à leur tour, incomprises. 

[Kleist à sa cousine Marie, Châlons-sur-Marne, juin 1807]



jeudi 1 octobre 2015

Tombola


Tombola des soirs de septembre (je n'ai pas dit loto de l'automne), trois autres bons numéros dans l'ordre : le 22, le 26, le 27. Parfois la lumière manque, ce n'est pas systématique. La cagnotte est remise en jeu.