dimanche 29 juin 2014

Miracle trompeur




« La mer et le ciel étaient noirs. Les lumières de la grande voûte se consumaient, scintillant dans les lointains infinis. Leur lueur froide, qui anéantit ou exalte le cœur, engendra le miracle trompeur de pensées édifiantes. Des millions d'humains (et qui sait si les animaux ne font pas de même) lèvent, la nuit, leurs yeux mystérieux, et se replient dans une âme solitaire ou pleine d'espérance inquiète, la leur propre. Ils se voient élus ou rejetés. Ou encore, cette vision lointaine est aussi distante d'eux qu'elle prétend l'être. Elle ne pénètre pas les vapeurs lourdes de leur sang martyrisé. En d'autres moments, les tempêtes couvrent de leur vacarme les brumes de notre terre. Maintenant, c'était la rosée brillante des solitudes, tombant goutte après goutte. » 

Hans Henny Jahnn, Le Navire de bois (1936)



dimanche 15 juin 2014

Un coup d'œil sur le monde




« Mais regardez un peu, monsieur Max, comme c’est beau, s’enflamma-t-il. Le monde est beau. Le monde est beau, vous ne trouvez pas ? Sans ralentir le pas ni lui répondre, Max feignit de jeter un coup d’œil sur le monde et haussa légèrement les épaules. Bon, dit Bernie d’un ton penaud, d’accord. Convenez quand même qu’il est très bien éclairé. » 

Jean Echenoz, Au piano (2003)


mercredi 4 juin 2014

Music box




La Roque sur Cèze, le 1er juin. 
M. A. Hamelin, Music box, delicatamente meccanico.



mardi 3 juin 2014

Quant aux crotales


« [...] quant aux crotales, l'autre grande terreur irraisonnée des gens trop civilisés, ils sont rares, car la majeure partie du parc est à une altitude trop élevée pour les serpents. Ces pauvres créatures, que leur Créateur est le seul à aimer, sont timides et craintives, comme le savent les montagnards ; et si sans doute elles ne sont guère douées de cette charité à la fois patiente, douce et bienveillante, que ce soit par erreur ou par accident il est bien rare qu'elles fassent du mal à quiconque. Ce qui est sûr, c'est qu'elles ne causent pas même la centième partie des souffrances et des morts qui suivent les brisées du trappeur tellement admiré des montagnes Rocheuses. Quoi qu'il en soit, à propos et hors de propos une question revient sans cesse : "À quoi les crotales servent-ils ?" Comme si ce qui n'est pas évidemment utile à l'homme n'avait pas le droit d'exister ; comme si nos manières de voir étaient celles de Dieu. Il y a bien longtemps, un Indien, à qui un voyageur français avait posé cette vieille question, répondit que la queue était bonne pour le mal de dents et la tête, pour la fièvre. De toute façon, ils sont tout entiers, tête et queue, bons pour eux-mêmes, et nous n'avons pas à leur refuser leur part de vie. » 

John Muir, Le parc national de Yellowstone (1901)
in Célébrations de la nature