mercredi 8 avril 2009

Syntaxe et surtaxe




[Les Salander écrivent à leur fille, Setti ; ils viennent d’apprendre que son mari est en prison.]

 


« Il prit donc une formule imprimée, la remplit comme il convenait de quelques mots laconiques et la donna à sa femme.

Elle lut le télégramme, l’examina un instant, puis remplit une nouvelle formule. Quand elle eut fini, Martin Salander lut à son tour le texte et s’étonna. Elle avait relié verbes et substantifs, alignés comme de rudes blocs de pierre, par les mots-outils nécessaires, mais sans rien modifier d’autre.

“Tu n’as rien ajouté du tout, sinon les pronoms, les articles et quelques prépositions. Le télégramme coûtera seulement deux fois plus cher !” dit-il, toujours étonné.

“Je le sais bien, c’est peut-être sot de ma part”, expliqua-t-elle humblement, “mais il me semble que ces petits ajouts adoucissent le ton, mettent un peu de coton autour des mots, de sorte que Setti aura l’impression de nous entendre parler et pour moi cela vaut bien une surtaxe. Mais si tu veux, c’est moi qui signerai.”

“C’est étonnant comme tu as raison !” dit Salander après avoir relu les trois ou quatre lignes. “En un clin d’œil le texte prend une tournure élégante et cordiale. Où diable vas-tu prendre ces procédés de style si merveilleusement simples ? Non, il faut que tu signes toi-même. Moi, vieux pédant que je suis, je n’en aurais pas eu l’idée !” » 

Gottfried Keller, Martin Salander, p. 243-244



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