vendredi 6 novembre 2009

Contraires neutralisés




"Cette idée qu’il y a une langue française, existant en dehors des écrivains, et qu’on protège, est inouïe. Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de se faire son “son”. Et entre le son de tel violoniste médiocre, et le son (pour la même note) de Thibaud, il y a un infiniment petit, qui est un monde ! Je ne veux pas dire que j’aime les écrivains originaux qui écrivent mal. Je préfère et c’est peut’être une faiblesse ceux qui écrivent bien. Mais ils ne commencent à écrire bien qu’à condition d’être originaux, de faire eux-mêmes leur langue. La correction, la perfection du style existe, mais au-delà de l’originalité, après avoir traversé les fautes, non en deçà [] La seule manière de défendre la langue, c’est de l’attaquer, mais oui Madame Straus ! Parce que son unité n’est faite que de contraires neutralisés, d’une immobilité apparente qui cache une vie vertigineuse et perpétuelle [] Hélas Madame Straus il n’y a pas de certitudes, même grammaticales. Et n’est-ce pas plus heureux. Parce qu’ainsi une forme grammaticale elle-même peut être belle, puisque ne peut être beau que ce qui peut porter la marque de notre choix, de notre goût, de notre incertitude, de notre désir, et de notre faiblesse.
"

Marcel Proust à Madame Straus

Vendredi 6 novembre 1908



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