Vivre ou écrire, il faut choisir. Et de quel droit,
d’abord, me parler sur ce ton ? Et si je refuse de choisir, moi ? D’ailleurs le
choix est déjà fait : vivre, bien sûr. Mais ce choix n’en est pas vraiment un
puisqu’il a été fait par madame ma mère et monsieur mon père. Choix dont globalement
je les félicite, du reste. Ils étaient en veine, ce jour-là.
Encore pourrait-on
arguer qu’ils ne furent que des intermédiaires, et que le risque de la vie, en
définitive, c’est la vie elle-même qui l’a pris ― les yeux fermés ; ses épaules sont si larges, son sein si
généreux, rien ne la fera reculer. Quand les erreurs ― moi, éventuellement ― sont négligeables, que leur défaut ou
leur nullité ne compromet pas le projet d’ensemble, il n’y a pas d’erreur à
proprement parler. Et ce projet est si simple que rien ne peut le saper. Je ne
voudrais pas trahir un secret, mais le but de la vie est la vie.
Selon l’humeur,
selon le temps, on trouvera ça grandiose ou vain. Grandiosement vain. Vainement
grandiose. L’homme ne s’en privera pas ; il en fera des livres ; qui lui
sembleront, par un curieux effet d’optique, or tout est affaire de regard, plus
réels et plus précieux que sa vie elle-même. Aura-t-il vécu ? Le doute est
permis. Aura-t-il écrit ? Cela au moins est à peu près sûr. Ses œuvres ne lui
survivraient-elles que cinq minutes...
Mais ces phrases
tournent autour du pot. La vie, la vie, c’est bien beau, mais ce n’est pas elle
qui me pousse à écrire. La vie n’est qu’un sujet (notez que c’est assez, que
cela suffit pour une vie, d’observer l'increvable vie, d’autant qu’il n’y a
rien d’autre à voir). C’est parce que je vais mourir ― et peut-être, à l’instant, du ridicule
de cet aveu ― que j’écris.
Et si je me
permets de parler pour moi (je m’en prie), c’est parce que je vais mourir sans
descendance, ce dont je suis fort aise, que, tout aussi opiniâtre que la vie (à
borné, borné et demi), j’ai fait de l’écriture d’une poignée de pages
immortelles (en tout cas, sur le papier) le but de mon existence. Pages où,
assez hypocritement ― faisant taire ma
rancune, mon angoisse, ma terreur, ― je célébrerai la vie. Et l’écriture. Qui est une vie comme
une autre, après tout. Seulement un peu plus digne peut-être. Avec un fini que
la vie n’a pas.
Vivre ou écrire, la question n’a pas de sens, pour qui écrit
(ou vit, nous avons vu que c’est la même chose). Bon, j’entends bien, je ne
suis pas si bête : la vraie question est : faut-il s’enchaîner à sa table ― car l’art est long et difficile ― et devenir une petite chose grise,
rabougrie, hirsute, insatisfaite, ou courir, glorieux et nu, sur des plages
lointaines, complètement défoncé, en bandant comme un taureau (par exemple).
Alors là le choix est facile : devenir une petite chose grise, rabougrie,
hirsute, insatisfaite, évidemment.
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