mercredi 17 juin 2009

Les seuls humains




[À propos de la remise solennelle des insignes de chevalier de la Légion d’honneur au commandant Alfred Dreyfus :]

 

« Il est curieux de penser que pour une fois la vie ― qui l’est si peu ― est romanesque. Hélas depuis ces dix ans nous avons eu tous dans nos vies bien des chagrins, bien des déceptions, bien des tortures. Et pour aucun de nous ne va sonner une heure où nos chagrins seront changés en ivresses, nos déceptions en réalisations inespérées, et nos tortures en triomphes délicieux. Je serai de plus en plus malade, les êtres que j’ai perdus me manqueront de plus en plus, tout ce que j’avais pu rêver de la vie me sera de plus en plus inaccessible. Mais pour Dreyfus et pour Picquart il n’en est pas ainsi. La vie a été pour eux “providentielle” à la façon des contes de fées et des romans feuilletons. C’est que nos tristesses reposaient sur des vérités, des vérités physiologiques, des vérités humaines et sentimentales. Pour eux les peines reposaient sur des erreurs. Bienheureux ceux qui sont victimes d’erreurs judiciaires ou autres ! Ce sont les seuls humains pour qui il y ait des revanches et des réparations. » 

Marcel Proust à Madame Straus, 
le samedi soir 21 juillet 1906


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