samedi 7 septembre 2013

L’art absurde d’être heureux




« Dès mon jeune âge, j’avais consacré toutes les forces de mon être à composer des nouvelles, des pièces, des milliers d’histoires. Elles reposaient sur mon cœur comme des crapauds sur une pierre. Possédé par un orgueil diabolique, je ne voulais pas les écrire prématurément. Écrire moins bien que Léon Tolstoï me semblait une perte de temps. Mes histoires étaient destinées à survivre à l’oubli. Une pensée intrépide, une passion dévorante ne valent la peine qu’elles nous ont coûtée que si elles sont revêtues de beaux habits. Comment les confectionner, ces habits ?
 L’homme qu’une pensée a pris au lasso, qui file doux sous son regard de serpent, trouve difficile d’user sa salive à prononcer des mots d’amour insignifiants et creux. Il a honte de pleurer de chagrin. Il n’est pas assez intelligent pour rire de bonheur. Le rêveur que j’étais ne possédait pas l’art absurde d’être heureux. 
[…] Une très bonne histoire n’a pas besoin de ressembler à la vie réelle ; c’est la vie qui, de toutes ses forces, cherche à ressembler à une très bonne histoire. » 

Isaac Babel, Mes premiers honoraires (1928)


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