dimanche 22 août 2010
La volition si loin
[1894, en quittant l'Afrique du Nord]
L’admirable, sur cette terre, c’est qu’on est forcé de sentir plus que de penser [...] Et suant, et presque évanoui, faible comme un agonisant d’Edgar Poe, oui, très précisément le malheureux du Puits et le Pendule penser : «Oh ! que ce hublot s’ouvre ! oh ! ouvrir ce hublot !» et n’en rien faire, et, pendant des minutes, ne penser, ne sentir que cela : ce que serait un peu d’air du large éventant mes tempes meurtries, et sentir la volition si loin, désespérément loin du souhait, que c’est complètement inutile de lier pour une fois l’une à l’autre. Ô misère ! Et tout à coup, étouffant, bondir sur le hublot, se cramponner aux écrous, tourner, tirer, ouvrir, et retomber quasi mort sur la couche, avec, dominant tout, le malaise affreux de l’air trop froid du dehors glaçant brusquement mes mains moites au moment que le hublot s’est entrouvert. Et pendant longtemps demeurer, sans bouger même un doigt, laissant la sueur couler goutte à goutte de mon front sur l’oreiller ; puis penser, sentir peu à peu ― à présent glacé par l’air du large : «Oh ! que ce hublot se ferme ! oh ! fermer ce hublot !…»
André Gide, Journal
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