dimanche 20 mars 2011

Puisque nous existons





Benjamin à Isabelle, le 4 juin 1790 



[...] Je sens plus que jamais le néant de tout, combien tout promet et rien ne tient, combien nos forces sont au-dessus de notre destination, et combien cette destination doit nous rendre malheureux. Cette idée que je trouve juste n’est pas de moi : elle est d’un Piémontais, homme d’esprit, dont j’ai fait la connaissance à La Haye, un chevalier de Revel, envoyé de Sardaigne. Il prétend que Dieu, c’est-à-dire l’auteur de nous et de nos alentours est mort avant d’avoir fini son ouvrage, qu’il avait les plus beaux et vastes projets du monde, et les plus grands moyens, qu’il avait déjà mis en œuvre plusieurs des moyens, comme on élève des échafauds pour bâtir, et qu’au milieu de son travail, il est mort, que tout à présent se trouve fait dans un but qui n’existe plus, et que nous en particulier nous sentons destinés à quelque chose dont nous ne nous faisons aucune idée, nous sommes comme des montres où il n’y aurait point de cadran, dont les rouages, doués d’intelligence, tourneraient jusqu’à ce qu’ils se fussent usés, sans savoir pourquoi, et se disant toujours, puisque je tourne j’ai donc un but. Cette idée me paraît la folie la plus spirituelle et la plus profonde que j’ai ouïe, et bien préférable aux folies chrétiennes, musulmanes ou philosophiques des premier, sixième, et dix-huitième siècles de notre ère. Adieu [...]

 








Isabelle à Benjamin, le 8 janvier 1791

 

[...] Mais avant d’en venir à ce qui vous étant personnel est vraiment intéressant, je vous demanderai pourquoi chercher sans cesse le pourquoi de notre existence ? Puisque nous existons il fallait bien que nous existassions [...]




Correspondance de Benjamin Constant et d’Isabelle de Charrière, éd. Desjonquères



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