À Jack Scott, Vancouver Sun
Le 1er octobre 1958
Perry Street
New York City
Cher Monsieur,
Je me suis éclaté comme un malade cette semaine à la lecture
du l’article de Time Magazine sur le Sun. Je me permets non seulement de vous
souhaiter bonne continuation, mais également de vous proposer mes
services.
N’ayant pas à ce jour encore pris connaissance du “nouveau” Sun,
je considère cette proposition comme soumise à condition. La dernière fois que
j’ai travaillé pour un journal dont je ne savais rien (voir articles joints),
j’ai mis le pied dans une vraie bouse, et je n’ai pas l’intention de me lancer
de nouveau à l’aveuglette. Le temps que cette lettre vous arrive, j’aurai lu
des éditions récentes du Sun. Ma proposition reste valable, sous réserve bien
sûr que le canard tienne la route.
Et n’allez pas croire que mon arrogance soit involontaire.
C’est tout simplement que je préfère vous offenser maintenant plutôt qu’après
avoir commencé à travailler pour vous. Je ne m’étais pas fait clairement
comprendre du type qui m’a engagé, la dernière fois, et ensuite, il était trop
tard. Ça a été comme si le marquis de Sade s’était soudain retrouvé à
travailler pour Billy Graham. Le type m’a pris en grippe, et, bien entendu, je
n’ai eu pour lui et pour tout ce qu’il représente que le plus profond mépris.
Si vous lui posez la question, il vous dira que je ne suis “pas très aimable,
[que je] déteste les gens, [que je] veu[x] juste rester dans [m]on coin, et
[que j’ai] une trop haute idée de moi-même pour me mêler à la plèbe.” (Citation
extraite d’un mémo qu’il a envoyé au directeur de la publication.) Avoir de
bonnes références, il n’y a rien de tel.
Bien entendu, si vous demandez à d’autres personnes pour qui
j’ai travaillé, vous obtiendrez des réponses bien différentes. Si j’ai
suffisamment piqué votre intérêt pour recevoir une réponse, je me ferai un
plaisir de vous faire parvenir une liste de références — y compris de la part
du gus pour qui je travaille actuellement.
Les articles ci-joints devraient vous renseigner sur mon
compte. Cela remonte à un an, et depuis, j’ai un peu évolué. J’ai suivi
quelques cours à Columbia pendant mon temps libre, ai énormément appris sur la
manière dont se mènent les affaires journalistiques, jusqu’à éprouver désormais
un saint mépris pour le métier. Je pense pour ma part qu’il est fort dommage
qu’un secteur potentiellement aussi dynamique soit entre les mains de nazes, de
vauriens et de pisse-copies frappés de myopie et d’apathie, bouffis de satisfaction,
généralement confits dans un marais de médiocrité stagnante. Si c’est à quoi
vous essayez d’échapper avec le Sun, alors il me semble que j’aimerais
travailler pour vous.
L’essentiel de mon expérience relève du journalisme sportif,
mais je peux écrire de tout, de la propagande belliciste à la critique
littéraire érudite. Je suis capable de travailler vingt-quatre heures par jour
si nécessaire, de vivre sur la base d’un salaire raisonnable, et je me fiche
comme de ma première chemise de la sécurité de l’emploi, des bonnes manières en
vigueur au bureau et du qu’en-dira-t-on. Je préfère être au chômage plutôt que
travailler pour un canard m’inspirant de la honte.
La Colombie britannique, ce n’est pas la porte à côté, mais
je pense que le voyage me plaira. Si vous pensez que mes services peuvent vous
être utiles, envoyez-moi un petit mot. Sinon, bonne chance quand
même.
Veuillez agréer,
Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Hunter S. Thompson
(in Gonzo Highway, correspondance,
2005)
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