dimanche 30 août 2015

Berlinade #1





C’était le 25 août dernier. Nous revenions de l’aéroport abandonné de Templehof, vaste espace vide au sud de Berlin dont ne décollent plus, sous une coupole ininterrompue de nuages, que des corbeaux là comme chez eux dans la prairie qui pousse entre les pistes, quand Nikolaus, qui me connaissait assez maintenant pour savoir mon goût pour les stèles et la musique, s’est souvenu que dans un cimetière pas loin se trouvait la tombe de Mendelssohn, mais pas où exactement ; en quelques coups de pédale, nous entrions par la sortie. Au bout d’un moment, le cimetière de la Trinité est grand, nous nous sommes séparés pour chercher Mendelssohn plus efficacement, et j’errais depuis cinq minutes en sifflotant une romance sans paroles lorsqu’une date, 1776, m’a attiré du coin de l’œil. Ça c’est une vieille tombe, me suis-je dit — tout autour, les morts étaient plus jeunes. Et alors. Quelle ne fut pas. 




Minute, papillon. Combien y a-t-il de cimetières à Berlin ? Et si j’avais tourné à droite plutôt qu’à gauche ? Ignoré ce carré ? J’étais joyeux d'une façon impossible à dire. Ébahi. Éberlué. Justifié, en quelque sorte. Quelque chose me souriait. 



OLD BERLINER CLOUD
Le premier E.T.A. Hoffmann est allemand, romantique, musicien et conteur. Né à Königsberg, en 1776, il meurt à Berlin, à quarante-huit ans. Il est entre-temps un amant éconduit, un mauvais fonctionnaire      « travaillant tristement le jour dans son bureau, écrivant la nuit », un chef d’orchestre. C’était un homme sarcastique et rêveur, avec de grands favoris roux. Il n’est jamais allé au Japon. 
L’année qui précéda sa mort, un de ses compatriotes, Dietrich Nicolaus Winkel, avait conçu une machine, le Componium, qui se faisait fort de produire presque indéfiniment les variations d’un thème. En comptant une minute pour chaque, il y en avait, estimait-il, pour cent trente-huit trillions d’années. 


Ça, c’est le bref cinquième chapitre de mon bref premier roman, Hoffmann à Tôkyô. J’avais fait de mon personnage l’homonyme de l'auteur fameux parce que je venais de le lire et qu’une fois de plus, je m’étais identifié à lui, avant le suivant. Moins que ce rendez-vous à mon insu mais quand même très curieusement, un panneau près de l’entrée recensant les célébrités contenues dans la Trinité ignorait parfaitement Hoffmann, il n’y en avait que pour Mendelssohn. La critique musicale est dure. Finalement, nous avons mis la main sur Félix. J’étais moins ému.







8 commentaires:

  1. Votre joie se comprend.
    Avez-vous une explication à ce papillon sur cette tombe?
    "En mythologie grecque le papillon est le symbole de l'immortalité".

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    1. Non, j'ignore la raison de sa présence. On en trouve cependant un, superbe — et auquel on peut aisément s'identifier ; celui-là n'est pas immortel… — dans un conte d'Hoffmann, "Le Sanctus" :

      "– Maître de chapelle ! dit-il, je vis une fois un petit papillon bariolé qui s’était pris dans les fils de votre double clavicorde. La petite créature voltigeait gaiement de côté et d’autre, et ses ailerons brillants battaient tantôt les cordes supérieures, tantôt les cordes inférieures, qui rendaient alors tout doucement des sons et des accords d’une délicatesse infinie, et perceptibles seulement pour le tympan le plus exercé. Le léger insecte semblait voluptueusement porté par les ondulations de l’harmonie ; il arrivait quelquefois cependant qu’une corde, touchée plus brusquement, frappait comme irritée les ailes du joyeux papillon dont les couleurs étincelantes s’éparpillaient aussitôt en poussière ; mais il continua de voltiger gaiement, jusqu’à ce que, froissé, blessé de plus en plus par les cordes, il allât tomber sans vie dans l’ouverture de la table d’harmonie, au milieu des doux accords qui l’avaient enivré."

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  2. Ah oui c'est un joli extrait. Il semblerait que - d'après ce que j'ai butiné ici ou là - E.T.A Hoffmann portait un intérêt particulier aux papillons.
    Trouvé ceci, sur le cimetière de Berlin mais rien de spécial sur le papillon de la stèle de E.T.W. Hoffmann :
    https://books.google.fr/books?id=LDdOAAAAYAAJ&pg=PA115&lpg=PA115&dq=la+tombe+de+Hoffmann+et+le+papillon&source=bl&ots=MJS_EO-Y-V&sig=QxsDSqdJRjLBTdT_J_JAlwb7I54&hl=fr&sa=X&ved=0CEMQ6AEwBmoVChMIy-CqqpfTxwIVhTgUCh1qTw-0#v=onepage&q=la%20tombe%20de%20Hoffmann%20et%20le%20papillon&f=false

    Je repense à votre étonnement, à votre joie. Je l'imagine. Découvrir quelque chose "d'heureux et qui nous touche" sans qu'on le cherche est particulièrement réjouissant. Votre "Hoffmann à Tokyo" ne pouvait que rejaillir instantanément.

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    1. Je n'en suis pas encore tout à fait revenu. (Pour ajouter au trouble : dans le chapitre cité plus haut, je parle d'un Nicolaus, et c'est un Nikolaus — rencontré de fraîche date — qui sans le vouloir m'a conduit jusqu'à cette tombe… Un vrai conte d'Hoffmann.)

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  3. Il faut absolument que je mette la main sur ce "Hoffmann à Tôkyô". Mea culpa, je ne l'ai pas encore fait et pourtant, comme me plaisent ces "favoris roux" d'un "homme sarcastique et rêveur". Tout de même, tout de même, Mendelssohn : j'étais toute petite et ce fut par lui que j'entrai dans la musique. Vous savez bien, les musiques d'enfance sont sacrées....

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    1. Mais j'aime beaucoup Mendelssohn ! Les romances, bien sûr, que je travaille volontiers, et puis tous ces merveilleux scherzos rapides et scintillants, etc. Seulement, je n'ai pas écrit "Mendelssohn à Cuba" (c'est dommage, d'ailleurs).

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