vendredi 6 juin 2008

Le spectacle numéro 30




« On rencontre parfois à l’heure de midi, dans une des rues de la capitale, un homme enchaîné, suivi d’une escouade de Gardiens du Roi et qui paraît satisfait. Cet homme est conduit à la mort. Il vient d’"attenter à la vie du roi". Non qu’il en fût le moins du monde mécontent ! Il voulait simplement conquérir le droit d’être exécuté, solennellement, dans une cour du palais, en présence de la garde royale. Le roi, inutile de le dire, n’est pas mis au courant. Il y a longtemps que ces exécutions ne l’intéressent plus. Mais la famille du condamné en tire grand honneur, et le condamné lui-même, après une triste vie, gâchée du reste probablement par sa faute, reçoit enfin une satisfaction. Tout adulte est autorisé à donner le spectacle numéro 30 qui s’appelle "la mort reçue dans une cour du Palais", si, avec l’intention avouée ensuite spontanément d’"attenter à la vie du roi", il est parvenu à franchir la grande grille, la grille du petit parc, et une porte d’entrée. Ce n’est pas très difficile, comme on voit, et on a voulu de la sorte donner quelque satisfaction à ceux-là précisément qui en avaient tellement manqué. Les difficultés véritables eussent commencé à la deuxième porte. »
 

Henri Michaux, Voyage en Grande Garabagne



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