dimanche 24 août 2014

Le grand baratineur suprême




"— Un jour que j'étais en train de manger un steak à la provençale, je me suis mis à méditer sur l'existence de Dieu. Et j'ai pensé, le monde existe puisque nous le voyons. Si pour faire une simple boule de mortier il faut un maçon, de l'eau et du ciment, il est évident que pour faire le monde, il a fallu une quantité prodigieuse de matériaux et l'intervention d'un "super sujet". Mais alors que je me penchais sur l'origine de ces matériaux et la généalogie du thaumaturge en question, je me retrouvai nez à nez avec un mystère insondable : si le néant n'engendre que du néant, cela veut dire que la causalité est antérieure à l'intention. Désespéré, j'en oubliai mon bifteck, aussi coriace et absolu que la notion de Dieu elle-même, et me tournai avec délectation vers la réalité appétissante des pommes de terre sautées dont l'ail et le persil, telle la théologie pour un croyant, me fournirent le lien logique. Je compris que les sens captaient la réalité objective telle qu'elle est, et que la pensée la déformait en la transcendant. Car l'intellect, mes chers amis, est le grand baratineur suprême. Le monde est une conception mentale. Il n'existe pas concrètement, seulement dans notre imagination. C'est pourquoi Dieu n'est pas un sujet, mais un concept parasite qui pèse sur la conscience comme la barbaque sur l'estomac. Ce n'est qu'une apparence. Et comme l'impression n'est pas ce qu'elle prétend être, j'en suis venu à la conclusion que l'idée de Dieu, tout comme le steak, est une chose que l'on consomme mais qui n'en demeure pas moins toxique et décevante."

Op Oloop, p. 145-146




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