mardi 16 juin 2015
Chef-d'œuvre de la guerre et de la solitude
Le 20 septembre 1935, à quatre heures de l’après-midi, alors qu’un orage menace, le temps s’arrête ; seul survivant de cette catastrophe impossible, un maître d’école, Jean des Bories, qui à ce moment-là était en train de chasser dans les bois avec sa chienne. Dans ce monde au-dessus duquel les nuages morts sont comme du marbre, la lumière jaune et perpétuelle et le silence si absolu que les battements de son cœur résonnent jusqu’aux confins en de longs et terrifiants échos, il découvre bientôt que tout métal s’effrite sous ses doigts, que les êtres immobiles qu’il se hasarde à toucher reviennent à la vie pour mourir aussitôt et se décomposer. D’autres surprises merveilleuses ou terribles l’attendent. “Ici, dira-t-il, je veux tout raconter et n’expliquer rien.” Et il raconte dans une langue à nulle autre pareille, d’une sensualité tragique, fiévreuse et lourde comme une eau noire, le long cauchemar halluciné que sera sa vie dans ce présent figé, sa quête désespérée (et d'un singulier homo-érotisme) d’un corps à étreindre sans le tuer, les bouleversements dont son propre corps, vu comme celui d'un autre, est le théâtre à ciel ouvert, au long de 229 pages poignantes et splendides dont les derniers mots vous arrachent le cœur.
Ce roman, L’Orage et La Loutre, en avance pour ainsi dire sur les effets spéciaux de son temps, Lucien Ganiayre, né en Dordogne en 1910, très tôt orphelin, l’écrivit à l’âge de 36 ans. Douze refus d’éditeurs et quelques années de persévérance encore, sans plus de succès, le font renoncer à la littérature. Devenu agent d’assurance, il meurt d’un cancer à Périgueux au mois de février 1966. Six ans plus tard, sa veuve fait quelques envois. Au Seuil, Denis Roche répond. Le roman paraît en 1973. Les critiques qu’il reçoit sont aujourd’hui introuvables, sinon dans le recensement d’une traduction tchèque. Et le livre l’était aussi jusqu’à ce que les éditions de l’Ogre, bénies soient-elles, le rééditent le mois dernier, suite à l’approche de la compagne du petit-fils de l’écrivain, qui cherchait simplement une solution pour en faire imprimer quelques exemplaires à destination des intimes. Or les intimes de cette splendeur parfaitement inclassable sont destinés à former un cercle bien plus vaste, qui ira, c’est certain, en s’élargissant, lentement, comme dans l’eau presque immobile du roman, ou bien c’est à désepérer de tout.
Merci à François-Michel P. qui fut cet intime de fraîche date qui propagea l'onde jusqu'à moi.
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