vendredi 9 janvier 2009
Épisode
Nous sortons, excités comme des gosses. Il n’y a pas grand monde encore ; comme il se doit les flocons viennent du nord, poussés par un vent assez fort ; ils cinglent, on ne leur en veut pas, les pieds mouillés la belle affaire. La dernière fois c’était il y a cinq ans peut-être, nous sortions à minuit d’un théâtre de la Joliette mais c’était une de ces petites neiges de rien comme il y en a parfois ici, qui ne tient pas et n’y tient pas, là c’est une vraie tempête, comme on n’en a pas vue dans la région depuis près de vingt-cinq ans (en témoigne une photo me montrant avec mon grand-père, mort depuis, au milieu d’une cour enneigée, moi tenant dans ma main gantée et paume en l’air un peu de neige comme une chose incroyable, miraculeuse) ; dans l’intervalle j’ai vu la neige bien sûr mais là où elle tombe d’ordinaire ― vieux souvenirs d’une promenade solitaire dans le parc Micaud de Besançon, d’un jour à lire au chaud Berlin Alexanderplatz dans un chalet à Barcelonnette ―, pour ainsi dire sans aucun mérite, ce qui est une pensée injuste, la pluie n’est pas une chose moins folle ni moins belle à Paimpol qu’au Niger.
Mais l’homme se blase et ce n’est pas à son honneur, moi le premier, il y a trois jours à peine, on ne me voyait pas comme maintenant répétant c’est beau c’est beau c’est dingue, bien qu’en vérité j’eusse eu alors comme toujours toutes raisons de le faire. Disons que c’était très, très beau et singulièrement dingue et nous serons encore bien loin du compte, de se sentir comme sous une cloche dans la lumière diffuse, bienheureusement coupés du monde, ses plus proches lointains enfoncés dans le blanc tandis que les flocons innombrables, à travers la buée des lunettes, font admirer leur vitesse paradoxale, si vite lents décidément, rapides à dix pas et à cent quasi immobiles, suspensions mouvantes souverainement adorables quand je le regarde à la verticale, tête levée à leur rencontre, eux détachés du ciel qu’ils abolissent.
Maintenant ? Deux jours ont passé et de cet enchantement (j’avais chanté d’ailleurs en flânant dans le parc Lonchamp, alors que J. faisait un bonhomme, il n’y avait que nous et un couple d’adolescents qui m’exagéraient leur amour en se roulant, en riant fort dans la neige épaisse et collante) il ne restera bientôt plus rien, que cette douleur dans ma fesse gauche consécutive à cette chute que je fis, distrait par tout et négligeant mes pieds, sur la neige tassée verglacée de la rue de Rome, en revenant des courses dans l’après-midi de ce jour, la neige ayant cessé de tomber vers une heure. Que ce décor domestiqué garde longtemps ces atours féeriques n’est plus un si violent désir après qu’on a très péniblement remonté la pente de sa rue, qui toute la matinée avait retenti des cris d’une bande de jeunes gens la dévalant sur des snowboards et autres luges improvisées ; on entrevoit des embarras terribles, des lassitudes énormes, on plaint de tout cœur les Lapons. L’arbre au centre de la cour a perdu dans l’histoire quelques branches, celui d’une place proche aussi, assommant une femme qu’on fit se reposer dans la boutique de mon coiffeur, qui me le raconta. De si légers flocons et de si lourds, de si maladroits corps. Il fait froid. Ce n’était qu’un rêve. Les toits pourtant sont encore blancs.
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