jeudi 1 janvier 2009

Comprendre dans le calme



Rendre le réel à l’insignifiance consiste à rendre le réel à lui-même : à dissiper les faux sens, non à décrire la réalité comme absurde ou inintéressante. Et surtout pas à décrire comme anodin le fait qu’il existe une réalité, ignorant ainsi, ou croyant l’éliminer à peu de frais, la question ontologique. Nous disons que ce qui existe est insignifiant, que le hasard peut très suffisamment rendre compte de tout ce qui existe ; cette thèse demeure ambiguë si on omet de préciser qu’elle vise ce qui se passe dans l’existence, mais naturellement pas le fait de l’existence elle-même, le fait qu’il existe quelque chose. De ce fait ― qu’il y ait quelque chose et non pas rien ― il est vain de penser qu’il est “signifiant” ou “insignifiant”, car il est de toute façon vain d’essayer d’en penser quoi que ce soit (sauf à être illuminé ou en contact avec Dieu, considéré comme auteur du fait ontologique). De la même façon, le hasard, qui permet de comprendre dans le calme tous les aléas de l’existence, ne permet aucunement de comprendre le fait de l’existence : dire qu’il y a de l’être par hasard serait avancer une proposition absurde. Il n’y a pas de mystère dans les choses, mais il y a un mystère des choses. Inutile de les creuser pour leur arracher un secret qui n’existe pas ; c’est à leur surface, à la lisière de leur existence, qu’elles sont incompréhensibles : non d’être telles, mais tout simplement d’être.
 

Clément Rosset, Le Réel. Traité de l’idiotie (1977), p. 40



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