jeudi 22 janvier 2009
Pastel cruel
« Aujourd’hui, c’est un jour où le roi a décidé d’inventer ce qui existe déjà : la règle, l’équerre, la roue, moi. Le coiffeur me corrige comme une élève mais il a les yeux d’un enfant. Il a sûrement une fronde dans sa poche. Les bulles de savon sont un code entre nous. Mais que veulent dire douze bulles de savon déjà ? » (p. 26)
« Le roi a prévu deux cents projecteurs pour imiter le jour. Il veut que je mette partout du bleu de Prusse en trompe-l’œil car c’est la mode. Je ne sais pas ce qu’il veut faire de la nuit. Il a un projet d’étoiles et de zigzags. En attendant que le ciel soit terminé, il se promène sur un palanquin à grand dais céruléen et il parle de l’interrègne de la nuit. (En vérité, je crois qu’il faudrait tout nettoyer pour retrouver un ciel plus proche de l’original.) (Le peindre en vert ?) » (p. 137-138)
« Mon amour n’est plus comme quarante kilomètres d’un tissu blanc courant sur les collines du Middle-Sex pour se jeter à vos pieds dans la mer. C’est plutôt des années et des années de négociation devant la Cour Suprême du Middle-Sex et des contrats passés avec des douzaines et des douzaines de propriétaires terriens. » (p. 166)
Manière d’entrer dans un cercle & d’en sortir de Pascale Petit est un livre ravissant. Très drôle et très doux. D’une fantaisie constante mais mesurée, tenue, sur les pointes ; rien d’un pesant délire dans ce spirituel écheveau de métaphores filées, ce kaléidoscope de listes, de jardins (dés)enchantés, d’ordonnances royales abusives (et bilingues, par exemple : “King’s edict n° 206 about the three-wheeled vehicle & about its disadvantages & solutions for.”), de “CHOSES À EMPORTER EN PLUS DANS L’ESPACE” (“onze jours de biscuits, trois jours de petits vivres, un morceau de savon”), de pastiches technicistes, de mots d’amour codés. C’est un vaudeville rêveur (les portes n’y claquent pas, d’ailleurs il n’y a pas de portes) : le roi, la reine et le coiffeur. Le coiffeur aime en secret la reine (“Un jour, j’écrirai une lettre d’amour et je trouverai le moyen qu’elle la lise” est son antienne) qui soupire après le roi (en feuilletant les “3718 pages blanches, numérotées, découpées & collées sur d’épaisses feuilles cartonnées 24 X 32 noir olive” qui sont tout ce qui reste de leur passion), lequel ne songe qu’à visiter la lune (au moyen d’un absurde et incontrôlable tricycle). Manière d’entrer... est un pastel cruel, un petit théâtre enfantin délicatement ombré par des mélancolies d’adulte.
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