Attentat à Wall Street, 1920
— Hier encore, le baron Reifflingen – vous connaissez ? Je déjeune souvent avec lui à l’Impérial – hier encore, donc, le baron me demandait mon avis sur les actions de la Gleisbacher Union – votre opinion, sincèrement ? me disait-il. Vous savez, cher baron, lui ai-je répondu, je suis tenu par le secret professionnel ! J’ai les mains liées, mais…
Stanislas Demba s’arrêta, fronça les sourcils et dévisagea son compagnon :
— Que dites-vous là ? Les mains liées ?
— Oui. Parce qu’évidemment…
— Vous avez donc les mains liées. Cela doit être gênant ?
— Qu’entendez-vous par là ?
— Je dis que cela doit être gênant, répondit Demba avec un sourire ironique, les mains liées ! J’imagine qu’on a le bout des doigts qui commence à gonfler, à cause de la circulation, comme s’ils allaient éclater, et que la douleur vous lance jusque dans l’épaule…
— Que dites-vous ?
— J’essaie de m’imaginer la situation de quelqu’un qui a les mains liées…
— C’était une image, voyons ! Je voulais simplement dire que, dans la mesure où je défends les intérêts de ma banque…
— Assez ! cria Demba. Vous parlez de choses que vous ne connaissez pas, dont vous n’avez pas la moindre idée, qui n’évoquent rien pour vous ! Vous n’avez que des mots vides, mort-nés à peine les avez-vous à la bouche, et qui puent déjà la charogne…
— Mais qu’est-ce qui vous prend de faire un pareil scandale ! En plein milieu de la rue ! Rassurez-vous, je lui ai finalement donné son renseignement, au baron ! Je lui ai dit comme cela : cher baron, je ne veux surtout pas vous dissuader, j’en ai moi-même acheté, mais il faut avouer que c’est un saut dans l’inconnu… Si moi, par exemple…
— Que dites-vous ? Un saut dans l’inconnu ?
Leo Perutz, Le tour du cadran (1918)
quel plaisir de croiser Perutz au détour d'une pérégrination erratique et ouebique
RépondreSupprimerJe sais maintenant ce que je vais lire ce soir !
merci