vendredi 16 octobre 2015
Copinages
Mes amis sont automnaux. François Matton a fait paraître chez P.O.L Oreilles Rouges et son maître la semaine dernière, Quidam publiera la semaine prochaine Pas Liev de Philippe Annocque. On gagne à connaître ces livres : ils y sont tous les deux méconnaissables. François Matton n’a pourtant jamais été autant François Matton que dans Oreilles Rouges (au pluriel et avec une majuscule à Rouges, rien à voir donc avec Oreille rouge) : à travers la petite dialectique inusable du valet et du maître, toujours plaisante à retrouver, entre bromance et concours de vannes, c’est le portrait en pied d’un poète bipolaire, mi serein mi paniqué, qui ne répond qu’à un mot d’ordre : rester léger — et les lecteurs de François Matton connaissent bien ce personnage-là. Seulement voilà, cette fois, il est bavard, il a des choses à dire, et il abandonne le dessin pour la ventriloquie. Il y a bien quelques croquis qui traînent de-ci de-là, mais c’est un livre, ça ressemble à un vrai livre, des libraires soulagés vont savoir où le ranger. Il était temps.
Si mes amis sont automnaux, ils n’en sont pas moins divers (je sais, c’est lamentable). La folie chez Philippe Annocque n’est pas douce comme chez Matton. Elle ne l’était pas, déjà, dans ses deux derniers livres, Vie des hauts plateaux et Mémoires des failles, mais ces recueils en forme de puzzle étaient fatalement un peu joueurs, l’air du jeu circulait entre les pièces. Pas Liev est un roman et il est implacable comme le sont les romans, tendu vers sa fin. La sienne est terrible. Les “choses”, pour son héros bas de plafond comme le sont les plafonds chez Welles et d’ailleurs on dirait du Kafka (si vous me suivez), n’y vont “moins bien” qu’à la page 91, mais c’est dès la première que ça ne va pas fort, alors vous imaginez bien ce qu’il en sera page 138, qui est la dernière. Il y a une phrase très belle et tout à fait représentative de l’ensemble, à la page 129 : “Où n’était pas une question mais Qui était un problème.” Je me demande si ça marche avec Oreilles Rouges, que dit sa propre page 129 ? “Ne vous y trompez pas : cette fois le singe, dans mon dessin, c’est moi !” C’est drôle, les deux phrases ont l’air de se répondre. J'imagine que les troubles de l’identité sont dans l’air du temps.
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