vendredi 30 janvier 2015
Tracer vraiment des phrases
Quand il avait quinze ou seize ans, il avait mis des mois, même des années pour être honnête, à comprendre, à enregistrer, à se faire à l’idée que Le Monde du vendredi était en vente le jeudi. Tout son être se révoltait, résistait à cette idée, comment se faisait-il. Il y avait ainsi des pans entiers, cachés, obscurs de son existence, des coins de bêtise aveugle, tenace, des sortes d’épilepsies tenues soigneusement secrètes même devant les marchands de journaux. Une sorte de prudence l’avait maintenu hors de l’eau, depuis l’âge de quinze ou seize ans justement, et en fait non, depuis bien plus avant, sept-huit ans, les années où il avait commencé à écrire, à tracer vraiment des phrases sur un papier, qui n’étaient pas forcément destinées à quelqu’un en particulier, peut-être pas même à lui, mais qui le préserveraient, le préserveraient du pire, et par exemple de révéler nettement, un jour, qu’il n’y comprenait absolument rien.
Frédéric Berthet, “Hors-piste”, in Felicidad, nouvelles (1993)
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Dans la photo, l'ombre provoquée: un homme à chapeau, assis à son pupitre, qui regarde devant lui et qui écrit: "je n'y comprends rien".
RépondreSupprimerÇa alors ! En effet.
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