mardi 2 décembre 2008

Besoin que d'aligner


(le corp humain lui aussi a sa propre ligne d’horizon : changer de pose équivaut à trouver, chaque fois, un nouvel angle d’attaque entre lui et le ciel…) 

AU MOINS UN BAQUET. ― “Je ne veux pas mourir avant d’avoir fait au moins un baquet. Mon grand-père était tonnelier. Mon père est tonnelier. Mon grand-père fabriqua un jour un petit tonneau à l’intérieur d’une bouteille ; et il en faut, du métier, pour cela. Recourber les douves à la chaleur du feu ― sans quitter l’intéreur de la bouteille ―mettre les fonds, en se servant de deux longs crochets, tout petits, fabriqués exprès pour cette opération. Mon grand-père dit, et c’est aussi l’avis de mon lieutenant, que les belles choses naissent de l’ennui, mais moi, je dis au contraire qu’elles naissent d’un grand besoin de se reposer.” (D’une confidence du caporal-chef Fulvio Bianconi.)
 

PEUT-ỆTRE. ― Peut-être ai-je trop pesé sur ma vie de tout le poids de mon coeur.
 

PHRASE. ― La beauté manque de force de persuasion.
 

LIEUX. ― Il y a des lieux où nous voudrions rester et être ensevelis. Et nous allons, nous, en quête de tels lieux.
 

LA FUMÉE. ― La fumée nous détruit lentement. C’est une ennemie assise au-dedans de nous. Elle nous émousse les sens, affaiblit notre vue. Mais nous ne parviendrons jamais à nous endormir avant d’avoir fumé jusqu’au bout la dernière cigarette.
 

SANG SÉCHÉ. ― Le sang séché, le sang qui coagule, perd sa brillance. Le sang sèche comme une fleur détachée de sa branche.
 

CHIENS BLANCS. ― Les chiens blancs qui parcourent les sentiers nocturnes, dans les champs. Une forme vague qui broute à fleur de terre, une forme incertaine, une forme incolore. Serait-ce l’âme ?
 

POINTS AU HASARD. ― Leibniz cité par Blondel : “Si on marque au hasard des points sur le plan, il est toujours possible de trouver une ligne géométrique dont la notion soit constante et uniforme selon une certaine règle, de façon que cette ligne passe par tous ces points, et dans l’ordre même avec lequel la main les a tracés. Et si quelqu’un dessinait sans lever la main une ligne qui fût tantôt droite, tantôt circulaire, tantôt d’une autre nature, il est possible de trouver une notion ou règle ou équation commune à tous les points de cette ligne en vertu de laquelle ces mêmes changements doivent nécessairement se produire.” Mais il faut rappeler ce que quelqu’un a dit du poète : “Dans ses heures les plus hautes il n’a besoin que d’aligner, et ce qu’il a aligné devient harmonieux.”
 

MUSIQUE. ― Ce sont les âmes confuses qui trouvent du réconfort dans la musique. 

Leonardo Sinisgalli (1908-1981), Horror Vacui (1945) 
Traduction de Jean-Yves Masson, Arfuyen, 1995




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