dimanche 21 décembre 2008

La vie est là, simple et tranquille


Au coin du marchand de journaux, sur le Vieux Port, hier. Nous contemplions arrêtés le crépuscule, un seul nuage aux franges moutonnantes buvait le jaune d’un ciel violet, tout cela très doux et pâle. Il y avait peut-être quinze secondes que nous étions ainsi debout, tête en l’air, bouche bée, quand une petite femme m’a touché le bras. Vêtements bleu sombre, frange brune, tête un peu tassée de nonne, oeil perçant et fou sous les lunettes, tête d’institutrice aussi, elle me souriait au bord de l’extase. 
― Ça se sent tout de suite que vous êtes des artistes. 
J’avais revu l’avant-veille Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, dans l’interprétation géniale de Dussolier et Trintignant. À un moment, le second rappelle au premier un épisode de leur jeunesse, lui reprochant d’avoir sommé ses camarades de randonnée d’admirer le coucher du soleil, et prolongé cette pause poétique au-delà du supportable. Étais-je un de ces poseurs ? La petite femme, que nous appelerons Thérèse, me disait comme c’était rare, de voir des gens badant le crépuscule, que cela lui faisait plaisir à un point que, comme c’était formidable de se reconnaître, entre poètes. J’opinais, embarrassé. Elle en ferait un roman, disait-elle, si elle s’écoutait. Elle n’écoutait pas, en tout cas, mes timides réparties, de l’ordre du murmure phatique. Thérèse m’expliquait maintenant qu’il y avait quatre sortes de vents à Marseille, et que celui venant de la mer donnait au ciel ses plus belles couleurs. Elle avait 51 ans. Le ciel cependant s’assombrissait. J’esquissais des pas en arrière, des sourires en avant. Thérèse se souvenait des premiers pas de l’homme sur la lune. Qu’on l’avait photographiée, enfant, ici même, sur le port, au milieu des pigeons. C’est qu’elle en avait des choses à me dire.
Je n’étais intérieurement qu’une immense narquoiserie. Étais-je un monstre de cynisme ? Enfin nous nous séparions. Le sarcasme refluait, je me voyais de nouveau libre de la trouver sympathique. Je tournai la tête alors et J. aussi. Le nuage s’était morcelé, et rutilait. C’était superbe. Nous avons rebroussé chemin, traversé la rue pour nous poster sur la bande de pelouse qui fait île entre les bars et la mer, où des palmiers miteux berçaient leurs palmes. Un orange surintense nous dominait dans un bleu indéfinissable (si j’étais poète, je m’y essaierais). Tout aurait été parfait si je n’avais pas, soudain, cherché des yeux Thérèse, cherché risiblement l’admiration de Thérèse, témoin de ma belle âme, sœur en cuculterie. Si je devais mépriser quelqu’un, c’était moi-même. Toutes ces pensées à peine formulées s’enfuirent dans la perspective de la rue Paradis, que je regardais peu de temps après, la nuit tombée ― les décorations de Noël s’y perdaient joliment, tristement ― au-delà du mal et du niais.



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