mardi 11 janvier 2022

Des nouvelles d'Igor Ballereau



Le réel cogne, tout le monde sait ça. Mon ami Igor en a reçu un coup assez fort pour le laisser sans voix pendant sept ans. Sans voix, c’est-à-dire sans musique. Impossibilité absolue de tracer la moindre note. Il composait, alors, à la table, de méticuleuses partitions, et de sa plus belle écriture (il y a des joyaux, audibles sur son site, igorballereau.com).  

Il n’avait pourtant pas commencé à vivre la musique sur du papier ligné, dans l’attente souvent si frustrante d’un octuor, d’un orchestre ou d’un chœur disponible : adolescent, il bricolait sur des synthétiseurs, loin de toute science, comme une brute – avec tout le confort moderne.

Or c’est en renouant avec ces balbutiements que, récemment, il s’est remis à parler. Un ordinateur, deux claviers, une banque sonore, comme au début. La musique se fait plus vite, ce qu’on imagine on l’entend tout de suite, c’est une joie, un vertige, un jeu ; de nouveau, on respire.

L’amoureux que je suis de ses œuvres denses, complexes, raffinées, dans le domaine du lied notamment, a d’abord été décontenancé par ces plages muettes et sans titre, pour l’heure numérotées de 1 à 10, dont les plus brèves durent cinq minutes et la plus longue vingt-deux. La rupture était trop violente – paradoxe, car ces compositions nouvelles sont volontiers contemplatives. Mais dès le deuxième morceau, j’ai compris ce qu’il en était, dans quel nouveau territoire je me trouvais, quelle sorte d’écoute il induisait.

Ce sont des musiques amniotiques. Les scores de films qui n’existent pas, ou qui existent suffisamment ainsi ; science-fiction, mélodrame, fantasmagorie ; lents travellings hallucinés, vols planés sur des étoiles mortes où passent des spectres – un sample lumineux de Gesualdo, un écho trafiqué du concerto de Berg, David Lynch et David Sylvian – formant une suite d’espaces mentaux, amis de la nuit et du demi-sommeil. Des chambres enfantines hantées par des mélancolies d’adulte.

On peut toutes les visiter sur sa chaîne YouTube, et rêver peut-être.

https://www.youtube.com/channel/UCnFOvYwgZd7Mt2vqhP7FF1Q/videos

mardi 14 septembre 2021

La vie pénible et laborieuse du colporteur Esmieu


 

Sans cette résidence dans la médiathèque de Barcelonnette, je n'aurais jamais découvert cette pépite, dévorée avec enthousiasme. Soit la transcription d'un récit absolument singulier, écrit au soir de sa vie, en 1823, par un gars du coin qui, à l'âge de 11 ans (!!!), pendant l'hiver 1773, parce que son père lui avait confisqué le fruit de ses braconnages, quitte la maison, outré par cette injustice, pour marcher jusqu'à Marseille et y chercher un état - ce sera celui de colporteur de drap. C'est dans une maison de Cogolin où il est mort, père d'une famille nombreuse mais sans avoir jamais voulu revoir ses parents, qu'on a retrouvé en 1960, pendant des travaux, ce manuscrit de 66 pages, écrit serré, sans ponctuation, dans un franco-provençal défiant toutes les règles de la grammaire et de l'orthographe. Pour qui, pourquoi a-t-il été écrit ? Mystère. Mais Jean-Joseph Esmieu, en l'écrivant, se souvient de sa fuite enfantine, sous la neige, comme si c'était hier, et de toutes les rencontres qu'il fit, bonnes et mauvaises, et son récit est magnifique de vérité, de poésie brute. L'autre gros morceau de ces mémoires, c'est sa poursuite acharnée, pendant deux ans, sous la Terreur, de deux gredins, un père et son fils, qui lui ont volé une caisse de dentelles, toute sa fortune : la course-poursuite (souvent drôle) traverse toute la Provence et même un évènement historique, le siège de Toulon, Esmieu manque se faire fusiller mais le remarque à peine, il ne songe qu'à ses mouchoirs de lin et à venger une injustice, encore une. C'est peut-être pour cela qu'il a écrit : pour témoigner qu'il fut un homme honnête, dans un monde de scélératesse. Ah quelle merveille que de tels textes existent !


La transcription (2002), très respectueuse, se borne à ponctuer et à unifier l'orthographe. Voici la première page, assez folle - ça commence fort - et son fac-similé. 








samedi 26 juin 2021

Statut coi

 



Depuis toujours, depuis l'enfance : une feuille, un stylo. La table est subsidiaire (fantôme romantique de Villiers écrivant, ses meubles au clou, affamé, à même le plancher). Le symptôme le plus sérieux de mon mysticisme demeure ce vœu de pauvreté, crânement renouvelé. Adieu caméras, palettes, instruments ; on est imbattable à ce jeu ; sans parler des poèmes composés par cœur, dans le dénuement des prisons. Curieux, cette invincible association de la liberté la plus grande et du cachot, de la paillasse, du bannissement. Mais il y a encore de l'éclat dans le revers de cette médaille. On gagne sur tous les tableaux. Ça se voit que je m'encourage ?



mardi 8 juin 2021

Preuves d'existence

 Ce blog a l'air mort, mais son propriétaire ne l'est pas. Par exemple, j'ai fait paraître un roman, le 8 avril dernier, toujours chez Marest : La Mort de Masao. (Son prédécesseur, Le Dormeur, est en lice pour le prix François Billetdoux, qui sera remis en septembre.) Quelques recensions en ligne : ici, ici, ici, ici, ou encore .

 


Le 27 mai, a paru également, aux éditions Vanloo, le nouveau numéro de la revue La mer gelée, dont le thème est "Froid". On peut y lire un texte de moi et sa traduction en allemand par Kai Stefan Fritsch. (Le samedi 26 juin prochain, je serai aux côtés de Noémi Lefevbre, Alban Lefranc et Arno Calleja pour une présentation de ce numéro au Cipm, à Marseille.)

 


Enfin, le 31 mai, l'éditeur espagnol Periférica a publié sa version, dans la traduction de Vanesa García Cazorla, de Dans la nuit du 4 au 15. Non seulement je suis vivant, mais en plusieurs langues. Je dois me rendre à l'évidence.





mercredi 7 octobre 2020

Le Dormeur en librairie

 


 

 Ce 6 octobre est paru chez Marest mon nouveau livre, Le Dormeur. C'est le roman d'un tournage épique et le portrait de son auteur, le méconnu Pascal Aubier, dont la vie est rocambolesque. C'est une enquête et un travelling où défilent Rimbaud, la Commune, la France des années 60 et 70, la mémoire ouvrière des mineurs des Cévennes, ma propre enfance et mon amour du cinéma, un mystérieux jeune homme et même un sous-marin. C'est une histoire de pères et de fils. D'utopies et d'orphelins. 

Il en existe deux éditions : l'une, souple, avec le texte seul ; l'autre "Deluxe", cartonnée, et renfermant un DVD des trois courts métrages que Pascal Aubier tourna en pleine montagne pendant l'été 1974, dont ce Dormeur qui donne son titre au livre. 

Nous fêterons sa parution ce vendredi 9 octobre dès 19h à la librairie L'impromptu, 48 rue Sedaine, Paris 11e. Une autre rencontre est prévue le samedi 10 à 17h à la librairie du Cinéma du Panthéon, 15 rue Victor Cousin, Paris 5e. 

vendredi 31 juillet 2020

La musique du film



Albin alluma la radio. C'était encore du piano. C'était lent, douloureux, grave. 
- Quand la vie se met à ressembler à du cinéma, dit Albin, il suffit de mettre la radio pour avoir la musique du film.


Jean Echenoz, Le Méridien de Greenwich (1979), chapitre 13



lundi 27 juillet 2020

Son éducation et sa foi




La douleur est son éducation et sa foi. La douleur fait de lui un croyant. Il croit uniquement et en premier lieu en tout ce qui souffre. Il croit en Superman, auquel il est par ailleurs évident qu'il ne croit pas, peu importe la preuve du contraire fournie par son pauvre petit corps de quatre ans moulé dans un costume de super-héros (...) Il croit en lui lorsqu'il le voit se recroqueviller sous l'action des pierres, agoniser genou à terre et se retrouver hors de combat, diminué, lui si gigantesque, à la merci de ses ennemis jurés.

Alan Pauls, Histoire des larmes (2007)
Trad. de l'espagnol (Argentine) par Vincent Raynaud 


lundi 13 avril 2020

L'agrément inattendu


Un peu de présence en ces temps de distanciation ; et puis, parfois, quand on aime, il faut se mouiller. La fantaisie m'a pris ce matin de vous lire un texte qui depuis bien longtemps m'enchante, "L'agrément inattendu", l'une des Histoires insolites (1888) du grand Villiers de L'Isle-Adam.




mercredi 8 avril 2020

Une petite chanson, mais déchirante



On ne fêtera l'anniversaire de Federico Mompou que dans huit jours, mais huit jours, c'est si loin...