Les stars et les enfants gâtés ne
sont pas seuls à faire des caprices. Les musiciens aussi (remember Niccolò), et
dans ce cas le mot désignera des œuvres aux contours imprévisibles, dont l'inspiration, la
réalisation s'écarte des règles et des conventions habituelles. Or cette
définition — si nous ajoutons que le caprice (ou capriccio) typique
est rapide, intense et souvent virtuose — va comme un gant aux sept récits que
réunit Caprice de la reine, le nouveau livre
de Jean Echenoz. On voit par là que ce beau titre est
aussi un titre-programme. Vous le demandez — le programme ? Le voici :
Nelson
; Caprice de la reine ; À Babylone ; Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg
et dans le sens des aiguilles d’une montre ; Génie civil ; Nitrox ; Trois
sandwiches au Bourget.
Sept récits, donc (c’est
écrit sur la couverture), sept caprices au sens musical du Paganini de la prose
qu’est Echenoz — le soufre en moins, ou alors c’est un bon p’tit diable. Tous
ont d’abord paru dans des ouvrages ou des périodiques, celui qui donne son
titre au recueil étant le plus ancien (2002), celui qui le conclut datant de
ces jours-ci (et justement Trois sandwiches au Bourget, sans doute le plus surprenant des sept, s’essaye à
parler de la France d’aujourd’hui). Ce sont loin cependant d’être des fonds de
tiroir : nous sommes plutôt sur le dessus de la commode, oui, voilà, vous y
êtes : dans la boîte à bijoux.
Nelson, par exemple, est une merveille de précipité
biographique, une sorte de délicate prédelle au retable Ravel/Courir/Des Éclairs. Toute la vie du
grand amiral vient s’y ramasser dans un geste émouvant qu’il a dans un jardin
anglais et le jour déclinant. Caprice de la reine est une étude de
paysage à main levée, où J. E. résout en se jouant les problèmes de la
description (“mettre chaque chose à sa place exacte”) ; À Babylone, qui suit à
distance dans la cité mythique les bobards d’Hérodote, tire sa drôlerie
irrésistible d’être un relevé précis d’une série d’approximations. Vingt femmes dans le jardin du
Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre est encore
plus précis, et c’est un relevé encore, dans un sens cette fois mécanique, ce
qui n’empêche pas, au contraire, une douce mélancolie ; le texte est très
court, ce que malicieusement ne laissait pas supposer son titre, tandis que Génie civil qui le suit est
un vrai petit roman, trente pages éblouissantes contenant à la fois un Abrégé d’histoire générale des ponts et une histoire
d’amour tragique à grands renforts d'effets spéciaux. Je disais tout à l’heure
que Trois sandwiches au Bourget est un récit
surprenant (en deux mots : une errance à la première personne dans la glu du
réel là où, ironiquement, on est censé décoller), mais dans le genre (et c’est
le cas de le dire : Echenoz s’y amuse, il y est passé maître, avec le genre, en l’occurrence celui de la série B),
Nitrox n’est pas mal non
plus : on s’y demande pendant dix pages ce qu’on est en train de lire, avant de
s’apercevoir, par la grâce d’un changement d’axe, qu’on est dans une scène de
James Bond — et ainsi, toutes les facettes du talent d'Echenoz, dont certaines
encore inconnues, auront brillé, qui sont autant de bonnes nouvelles de sa
santé (on peut même dire qu'il pète la forme).