dimanche 8 mars 2020
Possession
"C'est à lui comme le veau est à la vache, comme la femme est à l'amant ; de l'incipit au colophon, c'est à lui. Il veut en jouir lentement, il ouvre, il caresse, il parcourt, il contemple - et soudain il ne tremble plus, il ne rit plus, il est triste, il a froid, il cherche dans le texte quelque chose qu'il a lu et ne trouve plus, dans l'image quelque chose qu'il a vu et qui a disparu. Il cherche longtemps en vain : cela était là pourtant, quand ce n'était pas à lui."
Pierre Michon, Mythologies d'hiver (1997)
samedi 7 mars 2020
Du blabla
Par un désir malsain de déranger mes amis (sans cette stimulation presque personne n'écrirait), j'ai laissé pour la fin la traduction du titre des titres, celui que tous nos bons poètes, romanciers, essayistes, simples amateurs [...] ont reçu avec le plus d'enthousiasme, accepté, adopté et utilisé ; le titre le plus sonore et qui dénote le plus de colère quand il faut se mettre en colère : Le Bruit et la fureur de William Faulkner, si suggestif et qui sonne si bien [...] [Consultez] dans votre Concise Oxford Dictionary ce que veut dire "sound and fury" dans le texte de Shakespeare : simplement du blabla. Faulkner le savait-il ? Bien sûr, car de fait celui qui parle dans son livre est un idiot. En tout cas, on peut supposer que le dictionnaire le sait bien. Ouvrez-le et vous trouverez (j'espère que quelques-uns rougiront) à la page 1203, seconde colonne, ligne 4, à l'entrée sound : "mere words (sound & fury)". Donc des "mots creux", que nous appelons du blabla, c'est-à-dire ce qu'en définitive dit un idiot.
Et probablement, et c'est triste, la littérature en général.
Augusto Monterroso, "À propos de la traduction de certains titres", in Le Mot magique (1983)
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