mercredi 27 janvier 2010
(1919-2010)
« On a à peine le temps de faire un mouvement que le sablier est déjà vide, tu sais. Crois-moi, je sais de quoi je parle. Tu auras eu de la veine si tu trouves le temps d'éternuer dans ce monde incroyable. »
Jerome David Salinger,
Franny & Zooey
vendredi 15 janvier 2010
jeudi 14 janvier 2010
Théorie
« Je suis aussi un fin psychologue, voici ma dernière théorie : un enfant sans inhibition, sans timidité, tout de suite adapté et sociable, va grandir dans le groupe, dans la bande, acquérir par conséquent des réflexes et des comportements d’animal grégaire, pur produit de son époque, parfaitement à sa place dans le système, conforme aussi à ce que celui-ci attend de lui, sans originalité, tout en surface, un consommateur docile, une tête creuse… tandis que l’enfant rechigné, solitaire, complexé, sera bien obligé de se tenir à lui-même compagnie et donc de se rendre intéressant, il s’instruira, il apprendra à se connaître, il développera son sens critique. L’intelligence a autrefois connu l’humiliation et l’ennui ; la bêtise nous parle encore de son enfance heureuse. »
Éric Chevillard, L'autofictif, 13 janvier 2010
dimanche 10 janvier 2010
Zones décoratives
"Les œuvres de Bernard Werber ont été
traduites en 35 langues. Avec 15 millions d’exemplaires vendus dans le
monde, Bernard Werber est un des auteurs français contemporains les plus lus au
monde (avec Marc Lévy). Il est même considéré comme une star en Corée du Sud."
Wikipédia.
Dans son infinie
générosité, ce grand homme a livré, sur son site
officiel ― ah les hasards du
web-surfing au long des froids dimanches de janvier ! ― la recette de son succès, dans un
texte à se pincer intitulé Quelques conseils aux écrivains en herbe. Ça vaut son pesant de fourmis. En
voici des morceaux choisis ― attention, ça
démarre très fort :
"La blague est l'haïku du roman.
D'ailleurs tout bon roman doit pouvoir se résumer à une blague."
Cela paraît
indépassable et nous pourrions en rester là. Poursuivons cependant :
"Beaucoup de romanciers surtout en
France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec
des mots de vocabulaire qu'il faut chercher dans le dictionnaire comme on
enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolis
phrases. Pas un livre. Ils feraient mieux d'être poètes. Au moins c'est plus
clair."
Choisis ton camp,
camarade ! Son triomphe coréen n’étonne plus. Nanard précise :
"Il faut d'abord avoir une bonne
histoire ensuite à l'intérieur on peut aménager des zones décoratives, mais
sans abuser de la patience du lecteur."
Zones décoratives ! J’ai peur qu’on
ne goûte pas assez toute la beauté de cette notion.
"Ne pas hésiter à raconter oralement
votre histoire. Tant pis si vous prenez le risque de vous faire piquer l'idée.
En le racontant oralement, vous sentez tout de suite si cela intéresse et vous
vous obligez à être synthétique et efficace."
(Pas plus tard
qu’hier soir, quelqu’un qu’on me présentait m’a demandé de quoi parlaient mes
livres. Le laborieux et peu engageant bredouillement embarrassé que fut ma
réponse prouva que je n’avais pas retenu, hélas, cette fraîche leçon de Bébert
Werber.)
"Les lecteurs ont souvent des
journées fatigantes, ils lisent pour se détendre, donc il faut penser à ne pas
les ennuyer. Pour cela, alterner les scènes d'actions et de dialogues. Mettre
le maximum de coup de théâtre inattendues [sic au carré]. Ne pas oublier que la lecture est
un plaisir et que l'objectif n'est pas que le lecteur se dise que l'auteur est
doué ; il doit se dire "mais qu'est-ce qui va arriver à la scène
suivante" ?"
Moi je n’oublie
pas que Bernard Werber est né en 1961, et qu’il faut respecter ses aînés. Mais
c’est dur.
"La fonction des livres est aussi
d'apprendre des choses. La forme est un élément, mais si après avoir lu un
livre un lecteur sait quelque chose qui lui permettra de nourrir les
conversations ou les dîners, c'est quand même un intérêt de la lecture."
Ah oui, quand
même. Mais parlons structure à présent :
"Quand vous avez un bon premier jet
brut, essayez de trouver une manière de le découper de l'organiser pour qu'il
soit rangeable dans des chapitres. En général on organise le livre en trois
actes : Début. Milieu. Fin."
(Il faut que
j’arrête de passer des après-midi entiers à lire des conneries sur Internet.)
"Le milieu. Le milieu est
souvent le ventre mou du livre."
(C’est peut-être
le pot-au-feu du soir qui ne passe pas, je suis un peu barbouillé.)
"La fin c'est soit le coup de théâtre
surprise, soit la grande explication de l'histoire cachée, soit l'apothéose."
Ah, voilà, c’est
ça. Bien. Nous avons déjà fait le tour de l’esthétique de B. W. !
Mais son dernier
conseil aux écrivains
en herbe ― vite, une tondeuse ! ― est peut-être le plus beau :
"Si personne n'est prêt à payer pour
votre manuscrit c'est peut être parce qu'il n'est pas bon. Cette hypothèse ne
doit jamais être oubliée. Tout le monde n'a pas forcément de talent. Et ce
n'est pas grave. A la limite tentez la musique."
... !
Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.
jeudi 7 janvier 2010
Soit dit en passant
Vivre ou écrire, il faut choisir. Et de quel droit,
d’abord, me parler sur ce ton ? Et si je refuse de choisir, moi ? D’ailleurs le
choix est déjà fait : vivre, bien sûr. Mais ce choix n’en est pas vraiment un
puisqu’il a été fait par madame ma mère et monsieur mon père. Choix dont globalement
je les félicite, du reste. Ils étaient en veine, ce jour-là.
Encore pourrait-on
arguer qu’ils ne furent que des intermédiaires, et que le risque de la vie, en
définitive, c’est la vie elle-même qui l’a pris ― les yeux fermés ; ses épaules sont si larges, son sein si
généreux, rien ne la fera reculer. Quand les erreurs ― moi, éventuellement ― sont négligeables, que leur défaut ou
leur nullité ne compromet pas le projet d’ensemble, il n’y a pas d’erreur à
proprement parler. Et ce projet est si simple que rien ne peut le saper. Je ne
voudrais pas trahir un secret, mais le but de la vie est la vie.
Selon l’humeur,
selon le temps, on trouvera ça grandiose ou vain. Grandiosement vain. Vainement
grandiose. L’homme ne s’en privera pas ; il en fera des livres ; qui lui
sembleront, par un curieux effet d’optique, or tout est affaire de regard, plus
réels et plus précieux que sa vie elle-même. Aura-t-il vécu ? Le doute est
permis. Aura-t-il écrit ? Cela au moins est à peu près sûr. Ses œuvres ne lui
survivraient-elles que cinq minutes...
Mais ces phrases
tournent autour du pot. La vie, la vie, c’est bien beau, mais ce n’est pas elle
qui me pousse à écrire. La vie n’est qu’un sujet (notez que c’est assez, que
cela suffit pour une vie, d’observer l'increvable vie, d’autant qu’il n’y a
rien d’autre à voir). C’est parce que je vais mourir ― et peut-être, à l’instant, du ridicule
de cet aveu ― que j’écris.
Et si je me
permets de parler pour moi (je m’en prie), c’est parce que je vais mourir sans
descendance, ce dont je suis fort aise, que, tout aussi opiniâtre que la vie (à
borné, borné et demi), j’ai fait de l’écriture d’une poignée de pages
immortelles (en tout cas, sur le papier) le but de mon existence. Pages où,
assez hypocritement ― faisant taire ma
rancune, mon angoisse, ma terreur, ― je célébrerai la vie. Et l’écriture. Qui est une vie comme
une autre, après tout. Seulement un peu plus digne peut-être. Avec un fini que
la vie n’a pas.
Vivre ou écrire, la question n’a pas de sens, pour qui écrit
(ou vit, nous avons vu que c’est la même chose). Bon, j’entends bien, je ne
suis pas si bête : la vraie question est : faut-il s’enchaîner à sa table ― car l’art est long et difficile ― et devenir une petite chose grise,
rabougrie, hirsute, insatisfaite, ou courir, glorieux et nu, sur des plages
lointaines, complètement défoncé, en bandant comme un taureau (par exemple).
Alors là le choix est facile : devenir une petite chose grise, rabougrie,
hirsute, insatisfaite, évidemment.
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