VIII
À dos de cheval avec le peintre,
parfois assis tout en haut de la carriole,
un enfant de neuf ans l’accompagne,
le sien, songe-t-il avec émerveillement,
conçu dans le mariage avec Anna.
Il est très beau, ce dernier chemin,
en septembre de l’année 1527, le long de l’eau,
à travers les vallées. L’air fait bouger la lumière
entre les feuilles des arbres, et du haut des collines
ils voient la campagne alentour.
Adossé aux rochers quand ils font halte,
Grünewald ressent au fond de lui son malheur
et celui de l’architecte des eaux de Halle.
Le vent nous emporte comme un vol d’étourneaux
à l’heure où reviennent
les ombres. Ce qui reste, jusqu’à la fin,
c’est le travail commandé. Au service de la famille
Erbach, à Erbarch dans l’Odenwald, le peintre consacre
les années qui lui restent encore à un retable,
Crucifixion, une fois de plus, et Déploration,
l’altération de la vie se fait
lentement, et toujours entre le coup
d’œil et le coup de pinceau
Grünewald fait à présent un voyage
lointain, il interrompt aussi beaucoup plus souvent
qu’il n’en avait coutume la pratique de l’art
pour prendre son enfant en apprentissage
dans son atelier et dehors, dans la verte campagne.
Ce que lui-même en a appris n’est consigné nulle part,
on sait seulement que l’enfant, à l’âge de quatorze ans,
pour une cause inconnue, soudain
mourut, et que le peintre
ne lui survécut guère. Aiguise ton regard et devant toi
tu verras là-bas, dans le gris du soir qui tombe,
tourner les lointains moulins à vent.
La forêt recule, en vérité,
à une distance telle qu’on ne sait
où elle a pu être, et la maison de glace
se défait, et le givre dessine sur la campagne
une image sans couleurs de la terre.
C’est ainsi, quand le nerf optique
se déchire, que dans l’atmosphère immobile
tout devient blanc, comme la neige
sur les Alpes.
W. G. Sebald, Comme la neige sur les Alpes
in D’après
Nature (1988)