« Avec quel plaisir luxurieux et transcendant, me promenant, parfois, la nuit, dans les rues de la ville et examinant, du dedans de l’âme, les lignes des édifices, les différents styles de construction, les détails minutieux de leur architecture, la lumière à certaines fenêtres, les pots de fleurs dessinant des saillies sur les balcons ― en contemplant tout cela, disais-je, avec quelle volupté de l’intuition montait aux lèvres de ma conscience ce cri rédempteur : mais rien de tout cela n’est réel ! » Pessoa, Le livre de l’intranquillité
« Le matin d’azur pâle ressemblait, comment dire, à une promesse grandiose qu’aurait exhalée la bouche d’or d’une déesse, une bouche qui semblait à égale distance de la vérité et du mensonge, à la fois hors d’état de mentir, d’une part, puisqu’elle était l’instrument même de la vérité, et d’autre part, incapable d’exprimer une vérité, exempte à jamais du besoin d’en dire une […] »
Walser, Proses des microgrammes
N'existe-t-il pas ce médicament vert pâle qui rendra mon corps transparent comme l'eau * Montrer aux autres une chose extraordinaire et profitant de leur surprise disparaître Ishikawa Takuboku (1886-1912), Ichiaku no suna [Une poignée de sable, 1910]
« J'ai toujours été un rêveur ironique, infidèle à mes promesses intérieures. J'ai toujours savouré — étant autre, et étranger — la déroute de mes songes, spectateur fortuit de ce que j'avais cru être. Je n'ai jamais ajouté foi à cela même en quoi je croyais. J'ai rempli mes mains de sable, auquel j'ai donné le nom de l'or, et puis j'ai rouvert les mains et je l'ai laissé s'échapper. La phrase était mon unique vérité. Une fois la phrase dite, tout était accompli, le reste n'était que du sable, comme il l'avait toujours été. » Pessoa
« — Tu as reçu la vie ? Vis. — Mais maman, j'ai peur ! — Vis et ne crains rien. J'ai peur, peur... des dessins jaunes, des rayons poussiéreux du soleil, des maux de tête, des vieillards, des médicaments, du sanglot d'un enfant au point du jour, d'un caca de chiot, d'un oiseau mort et d'un vase de famille brisé, bleu. J'ai peur aussi de mon vrai nom, de l'écume de mon passé, de la lettre "p", d'un rouleau de croquis, et du pain blanc, du pain très blanc. Ce qui me sauve : le hareng, les citrons et les oranges, le frais soleil du matin, le pistolet de papa, des habits beaux et seyants, une course folle en voiture. » « Il neige, et je pense que ce serait bien que je m'empoisonne avec quelque liquide répugnant et criard dont je laisserais le fond sur la table, dans un verre fin. S'empoisonner en regardant la neige. Faire cela par enthousiasme pour la vie, rien que par enthousiasme, par admiration et enthousiasme. » « Si vous parvenez à ceci : vous réveillant par un pluvieux matin de printemps, rester au lit à réfléchir, écouter de la musique et reconnaître soudain honnêtement : "Au fond je ne suis rien dans la vie, rien qu'une merde et du vent ", alors il est encore trop tôt pour faire une croix sur vous. Mais il faut que l'aveu soit franc : que vous le fassiez pour vous, non pour la galerie. » Édouard Limonov, Journal d'un raté (1982)