lundi 25 octobre 2010

La société, elle dit




« La nuit est venue. On va voir dans un petit ciné Le Procès d'Orson Welles. On s'endort pendant la projection, du moins, moi, mais Anne elle prétend qu'elle a tout regardé et tout compris.

La société, elle dit, la société, c'est la société, l'image de la société.

C'est pas vrai, c'est l'histoire d'un ringard, je contre-attaque. C'est un film contre les ringards, mais c'est mal fait.

La société, elle commence à nouveau, tout de suite je coupe, ça va pas recommencer. 
Anthony Perkins, dans n'importe quelle société, il serait mal parti.

Non, non, dit Anne. Le film symbolise notre univers d'oppression.

On n'en sort pas. On rentre dans un bar, sur le chemin du retour. On cause encore passablement, jusqu'à l'heure de la fermeture. On parle de l'art, toutes ces choses. L'art, Anne, elle est pour.

Ça existe plus, je fais valoir.

Elle se lance dans une grande harangue sur la nécessité que la culture soit vivante ou je ne sais quoi.

Elle est morte ! je fais.

Elle vit de la vie de ceux qui la font chaque jour renaître.

C'est bien ce que je dis. »




Jean-Patrick Manchette, L'Affaire N'Gustro (1969)


vendredi 15 octobre 2010

Coalition des Johnson


"Le roman est une forme, au même titre que le sonnet. Et on peut écrire la vérité ou de la fiction dans le cadre de cette forme. Je choisis d'écrire la vérité en utilisant la forme romanesque."  

Bryan Stanley Johnson (1933-1973) 

"J'ai souvent pensé qu'il n'existe guère de vies dont il ne serait pas utile de faire un récit pertinent et fidèle."  

Samuel Johnson (1709-1784)



dimanche 3 octobre 2010

Foutrement pas drôle






ONE MAN SHOW



Dans un théâtre de Hollywood

j’ai assisté au one man show de mon pote Mike



Il ne boit plus depuis des années

et son génie de la sitcom lui a valu un Emmy

Hier soir

sa rage contre la vie

l’amertume d’un amour

et d’une paternité

ratés

ont calciné une soixantaine de spectateurs

muets comme la mort

pendant soixante-quinze putains de minutes

de malaise

foutrement pas drôle



En partant comme un con par le mauvais couloir

je me suis retrouvé coincé dans la loge de Mike

lambrissée de formica

sous une unique néon



Mike a désespérément besoin de compliments

sur son solo de divagations

et je ne sais pas ce qui me prend de lui dire la vérité

« Ça ne m’a pas fait rire

ça m’a rendu triste je suis désolé »



Et voilà mon Mike

sa gueule ravagée

de cinquante balais

instantanément dégonflée

décomposée



Le voilà réduit au silence



Six secondes plus tard je suis dans le couloir

qui mène au parking

en me disant

bien joué ducon

dans ta vie à rallonge d’hurluberlu de débile de mufle

quand comptes-tu apprendre à ne pas dire aux gens

ce que tu penses

et à faire le nécessaire pour ne pas perdre tes amis ?



Une dose d’hypocrisie et une bonne pipe

rien de tel pour envoyer un mec au paradis

à

Los Angeles



Un chat mort puant et pourri

emmuré derrière ton lit

là voilà la vérité

un conte de fées

d’une pénible

vanité

 

Dan Fante (b. 1944)

Bons baisers de la grosse barmaid, poèmes d’extase et d’alcool (2008)



traduction de l’anglais de Patrice Carrer, 13e Note Éditions.