Par un hasard qui était peut-être intentionnel, nous nous
trouvâmes un jour ensemble, le Maître et moi, devant une tasse de thé. Je
saisis l’occasion, fort à mon gré, d’une explication et je vidai mon cœur.
“Je
comprends bien, dis-je, qu’il ne faut pas ouvrir la main brusquement si l’on ne
veut pas gâter le départ du coup mais, de quelque façon que je m’y prenne,
c’est toujours raté. Si je ferme la main aussi fortement que je le puis, il
m’est impossible d’éviter la secousse en l’ouvrant. Si, par contre, je
m’efforce de la laisser relâchée, la corde est arrachée à l’improviste, il est
vrai, mais trop tôt avant que ne soit atteinte la tension maxima. Je ne cesse d’aller
de l’une à l’autre de ces erreurs, et je ne trouve aucune issue.”
Le Maître
répliqua : “Il faut que vous teniez la corde tendue comme un enfant tient le
doigt qu’on lui offre. Il le tient si fermement serré qu’on ne cesse de
s’émerveiller de la force d’un poing si menu. Et quand il lâche le doigt, il le
fait sans la plus légère secousse. Savez-vous pourquoi ?... Parce que l’enfant
ne pense pas, par exemple : maintenant je vais lâcher le doigt pour saisir
cette autre chose... C’est bien plutôt sans réflexion et à son insu qu’il passe
de l’un à l’autre, et il faudrait dire qu’il joue avec les choses, s’il n’était
aussi exact de penser que les choses jouent avec lui.”
Eugen Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc (1948)