C’était le 25 août dernier. Nous revenions de l’aéroport abandonné de Templehof, vaste espace vide au sud de Berlin dont ne décollent plus, sous une coupole ininterrompue de nuages, que des corbeaux là comme chez eux dans la prairie qui pousse entre les pistes, quand Nikolaus, qui me connaissait assez maintenant pour savoir mon goût pour les stèles et la musique, s’est souvenu que dans un cimetière pas loin se trouvait la tombe de Mendelssohn, mais pas où exactement ; en quelques coups de pédale, nous entrions par la sortie. Au bout d’un moment, le cimetière de la Trinité est grand, nous nous sommes séparés pour chercher Mendelssohn plus efficacement, et j’errais depuis cinq minutes en sifflotant une romance sans paroles lorsqu’une date, 1776, m’a attiré du coin de l’œil. Ça c’est une vieille tombe, me suis-je dit — tout autour, les morts étaient plus jeunes. Et alors. Quelle ne fut pas.
Minute, papillon. Combien y a-t-il de cimetières à Berlin ? Et si j’avais tourné à droite plutôt qu’à gauche ? Ignoré ce carré ? J’étais joyeux d'une façon impossible à dire. Ébahi. Éberlué. Justifié, en quelque sorte. Quelque chose me souriait.
OLD BERLINER CLOUD
Le premier E.T.A. Hoffmann est allemand, romantique, musicien et conteur. Né à Königsberg, en 1776, il meurt à Berlin, à quarante-huit ans. Il est entre-temps un amant éconduit, un mauvais fonctionnaire « travaillant tristement le jour dans son bureau, écrivant la nuit », un chef d’orchestre. C’était un homme sarcastique et rêveur, avec de grands favoris roux. Il n’est jamais allé au Japon.
L’année qui précéda sa mort, un de ses compatriotes, Dietrich Nicolaus Winkel, avait conçu une machine, le Componium, qui se faisait fort de produire presque indéfiniment les variations d’un thème. En comptant une minute pour chaque, il y en avait, estimait-il, pour cent trente-huit trillions d’années.
Ça, c’est le bref cinquième chapitre de mon bref premier roman, Hoffmann à Tôkyô. J’avais fait de mon personnage l’homonyme de l'auteur fameux parce que je venais de le lire et qu’une fois de plus, je m’étais identifié à lui, avant le suivant. Moins que ce rendez-vous à mon insu mais quand même très curieusement, un panneau près de l’entrée recensant les célébrités contenues dans la Trinité ignorait parfaitement Hoffmann, il n’y en avait que pour Mendelssohn. La critique musicale est dure. Finalement, nous avons mis la main sur Félix. J’étais moins ému.