— Oui, ça fait plus vrai. Je veux écrire un roman vrai. Il
faut qu’il soit bourré de choses prises sur le vif. Par exemple écoute
ça : « Les
jeune filles de quinze ans ont les cheveux gras. Elles se les lavent au
vinaigre quand elles vont au bal. Leurs danseurs ont la nausée. Parce que le
vinaigre sent mauvais. » Crois-tu que c’est vrai, hein ! crois-tu !
— Mon pauvre vieux, on ne se lave plus les cheveux au
vinaigre ! On se lave au shampooing Dop. Tu ne sais pas encore ça, toi, un
romancier ?
— Tu crois ? Même les jeune filles de quinze
ans ?
— Surtout elles.
— Même à la campagne ? Je pourrais rajouter « de la campagne »…
— Même elles. Et d’ailleurs elles n’ont plus les cheveux
gras. Les permanentes dessèchent complètement les cheveux.
— Tu crois ?
— Comment, si je crois ? Qu’est-ce que tu regardes
quand tu te promènes ? Et puis on ne dit pas « qui vont au bal », on
dit danser, tout simplement… Oh je t’en prie ! Tu ne vas pas
pleurer ! Arrange-toi pour être à la page, écoute parler les gens. Et
puis, je te les corrigerai, tes phrases.
—Bon, je vais mettre la tienne avec le shampooing Dop
puisque c’est plus vrai.
— Tu crois que ce sera intéressant ? Je me demande… Et
puis le shampooing Dop, dans dix ans, tu sais…
Robert Pinget, Mahu ou le matériau (1952)