mercredi 23 juillet 2008

L'ombre légère de ta vie







À UN POÈTE MINEUR DE 1899



La tristesse qui guette à l’heure où le jour fuit

Te demandait un vers. Tu voulus d’une lente

Ligne lier ton nom à la date dolente

Où l’or va se mêlant à l’imprécise nuit.

Dans la lueur qui se soumet et qui s’échange

De quel amour tu dus polir l’étrange vers

Qui, jusqu’à la dispersion de l’univers,

Saurait seul confirmer l’heure d’azur étrange !

Y parvins-tu jamais ? De toi, mon vague aîné,

Que savoir et que dire ? Es-tu mort ? Es-tu né ?

Mais je veux que l’oubli rende à ma solitude

L’ombre légère de ta vie, et ton espoir,

Embué par le mien d’un peu de lassitude,

Qu’en quelques mots humains puisse tenir le soir.

Jorge Luis Borges


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