mercredi 18 février 2009
Et dire que, toute la nuit, tremblera ce reflet
« Voici la Seine. Ce ne sont plus les bateaux-mouches qui font les vagues. Le fleuve s’amuse tout seul, entre ses quais d’aplomb, froidement et tristement, à petits clapotis. On ne croirait pas de l’eau. C’est trop noir. Ça remue et ça se creuse sans qu’on puisse deviner la profondeur. Et dire que, toute la nuit, tremblera ce reflet de bec de gaz, au même endroit ! Oui, pour en arriver là, il faut que ce soit fini, bien fini, Jean Dézert. Deux chalands sont amarrés, l’un près de l’autre, joue à joue. Une corde grince par instants.
― Chalands, pense Jean Dézert, je vous comprends. Vous passez votre existence rectiligne dans ces canaux étroits. Vous attendez devant les écluses. Vous traversez des villes, tirés par des remorqueurs qui proclament, sous les ponts, leur fierté de posséder une sirène, comme de vrais navires. Vous me ressemblez, somme toute. Vous n’irez jamais jusqu’à la mer. Puis il releva le collet de son pardessus et rentra se coucher, car cela même, un suicide, lui semblait inutile, se sachant de nature interchangeable dans la foule et vraiment incapable de mourir tout à fait. »
Jean de la Ville de Mirmont, Les Dimanches de Jean Dézert (1914)
« Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon coeur sont à jamais déserts.
La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas
Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j'ai de grands départs inassouvis en moi. »
(L’Horizon chimérique du même)
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