mercredi 8 juillet 2009
Mort bientôt
Mort bientôt c’est-à-dire, comme si je n’avais jamais été là, tout continuant sans moi aussi facilement qu’avec. Je me vois ne pas être avec une acuité peu commune. Ces visions m’investissent brusquement, aucun terrain émotionnel n’y est particulièrement favorable, ni un grand bonheur que je répugnerais soudain à perdre, ni un grand malheur qui me ferait voir tout en noir. Je puis être simplement dans la rue en train de marcher, un peu las, des provisions à bout de bras, ou regardant le film du dimanche soir ― réitérations molles d’événements sans traits saillants, ces moments vécus en masse sont même d’excellentes occasions de sentir battre son cœur plus fort à l’idée que sous peu... Attention, je ne médis pas de la banalité. Je ne pleure pas la perte d’un temps précieux et menacé quand, vaquant à des riens, m’étreint le sentiment de ma prochaine, irrévocable absence, la pensée de la mort ne me sert pas à fustiger la vacuité de mon emploi du temps ; ce seraient plutôt, au contraire, l’exquise insouciance et la belle confiance qu’il faut pour écraser, dans le calme pépère d’un éternel présent, des pommes de terre, ou vider un sèche-linge, tandis que le néant peut me happer à tout instant, qui subitement me feraient défaut, entraînant avec elles, dans un mouvement panique, l’ordinaire douceur de l’ordinaire.
Car il n’y a peut-être pas de plus grand bonheur que celui qui vous fait, par exemple, peler calmement deux courgettes, solidement campé sur vos jambes, sur les coups de dix heures et demie ; pas de hâte alors dans l’usage de l’économe, les épluchures s’amoncellent sur le plan de travail et la lumière dans sa jeunesse les fait briller, et on trouve ça joli. Et le secret de votre bonne humeur tient dans ces mots, leur certitude à tout prendre solaire, dyonisiaque, triomphale : il y aura de la ratatouille à midi.
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