dimanche 6 mars 2011

Évacuer tout espoir


« Rue des mendiantes n’a aucune rapport avec les traditions, avec les conventions narratives des ouvrages qui sont édités dans les années quarante du XXIe siècle. Tablant sur cette criante différence plus que sur le thème du livre, Frank Markovic estime donc que le roman va être remarqué et que le chiffre des ventes sera raisonnable.
 
Mais les projections commerciales de Lambda Press se révèlent vaines. Bien que la maison d’édition bénéficie d’un préjugé favorable dans le milieu littéraire et qu’un véritable réseau médiatique soutienne régulièrement les titres de son catalogue, les journalistes sont rebutés par Rue des mendiantes. Ils ne lui consacrent aucun article élogieux ou désapprobateur, ils n’en mentionnent nulle part l’existence. Un silence consternant salue la réapparition de Tarassiev dans l’arène éditoriale.
 Cette renaissance par trop discrète n’est pourtant pas vécue avec amertume par Tarassiev. Elle ne l’affecte pas. Elle convient à l’auteur, qui, au cours de ses vingt-trois ans de retraite muette, a suffisamment médité pour comprendre qu’il n’a rien à attendre de la publication. Elle convient à sa stratégie littéraire particulière qui maintenant consiste à évacuer tout espoir de notoriété et, au contraire, à faire survivre ses textes de la manière la mois tapageuse possible, en méprisant le contexte d’hostilité qui les entoure et en rêvant à des lecteurs hypothétiques, situés dans le futur et dans l’ailleurs. À cette étape de son parcours littéraire, on peut considérer qu’il a élaboré une poétique à usage personnel — selon laquelle l’exécrable réception de ses livres devient une condition nécessaire de qualité et d’existence. »

 

Antoine Volodine, La stratégie du silence dans l’œuvre de Bogdan Tarassiev in Écrivains (Fiction & Cie, 2010)



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