La
Boule de Feu, une fois de plus, se retrouva seule à trois heures du matin dans
sa fausse grande hacienda de North Rodeo Drive et, pour la dernière fois, elle
gravit les marches de son escalier à la rampe en fer forgé dans sa robe en lamé
argent (impayés, comme tout le reste).
Sa chambre ressemblait à la Chapelle de
Notre-Dame de Guadalupe en son jour de Bénédiction : des fleurs, des
cierges partout — la pièce illuminée. Prête à recevoir la star. Elle griffonna
quelques mots d’adieu sur un bloc-notes posé sur la table de nuit, près du
téléphone en or blanc :
Harald,
Puisse
Dieu te pardonner et me pardonner aussi, mais je préfère m’ôter la vie avec
celle de notre enfant plutôt que de lui porter la honte ou de le tuer.
LUPE
[…] Elle ouvrit le flacon de Séconal qui attendait sur la
table de nuit, porta le verre d’eau à ses lèvres, et avala les soixante-quinze
petits billets pour l’Oubli. Elle s’étendit sur le lit de satin au pied du
grand crucifix, les mains jointes sur la poitrine dans une dernière prière,
ferma les yeux et imagina les photos en première page des éditions du
lendemain : La Belle au bois dormant. Ainsi, bien sûr, que l’exclusivité
de la scène d’adieu par Louella (1), en une, dans un encadré noir.
Dans l’Examiner du lendemain, en
effet, Lolly décrivait la nature morte découverte à la Casa Felicias de North
Rodeo Drive :
Lupe ne
fut jamais plus belle qu’étendue là, comme endormie… Une vague sourire, celui
des rêves secrets… Ressemblant à une enfant faisant sa sieste, comme une petite
fille sage… Mais écoutez : voilà les toutous, Chops, Chips, qui grattent à
la porte… Ils gémissent, ils pleurent… Ils veulent sortir jouer avec leur
petite Lupita…
Aucune photo du lit de mort ne vint accompagner la prose de
Parsons. La scène, en réalité, s’était déroulée différemment.
Quand la
domestique, Juanita, avait ouvert la porte de la chambre à neuf heures, le
matin qui suivit le suicide (2), Lupe n’était pas là. Le lit était vide.
L’arôme des bougies parfumées, les effluves des tubéreuses masquaient presque,
mais pas tout à fait, une
puanteur évocatrice des clochards des quartiers de Skid Row. Juanita constata
la traînée de vomi qui partait du lit, et suivit la piste tachetée jusqu’à la
salle de bains carrelée aux motifs d’orchidées. Elle y découvrit sa maîtresse,
Señorita Velez, la tête enfoncée dans la cuvette des toilettes, noyée.
La dose
massive de Séconal n’avait pas été fatale de la manière attendue. Le somnifère
avait réagi avec le dernier repas mexi-piquant de la Boule de Feu. L’action
viscérale, son estomac retourné, avaient ranimé Lupe, étourdie. Prise de vomissements
violents, une ultime maniaquerie l’avait conduite à tituber en direction du
sanctuaire sanitaire de la salle de bains (3), où elle glissa sur le carrelage et plongea la tête la
première dans son « Modèle Confort Onyx d’Égypte Vert Chartreuse à Chasse
d’Eau Muette ».
Kenneth Anger, Hollywood Babylone (1975)
(1) Louella Parsons, reine des échotières de Hollywood,
« arriviste haletante et authentique Paganini de la Sottise » selon
Anger.
(2) Soit le 14 décembre 1944.
(3) En français dans le texte. La
traduction de Gwilym Tonnerre vient de paraître chez Tristram.
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