vendredi 4 septembre 2015

Berlinade #4




De ma première semaine à Berlin, je ne peux montrer aucune image : j’ai perdu la carte-mémoire — probablement tombée de mon sac sur l’avenue du 17 juin, sans faire de bruit, ces choses-là hélas ne pèsent rien. Elle était pourtant pleine. À cause de mon étourderie, vous ne verrez pas la tombe de Kleist, prétexte officiel du voyage — j’avais filmé caméra à l’épaule, pour ainsi dire, le chemin solitaire qui y mène, les frondaisons du grand chêne qui l’ombrage, les rameurs sur le lac à deux pas, un vrai tire-larmes — ni la traversée du Wannsee, miroitant sous un franc soleil, ni le couchant sur son rivage. Vous ne verrez pas davantage la Spree depuis un pédalo (j’imagine que le pédalo n’est réellement amusant que la première fois, ça tombait bien : je n’avais encore jamais fait de pédalo), ni un déjeuner sur ses berges. Je ne peux que vous parler, et vous n’êtes pas obligé de me croire, des eaux miraculeusement pures du lac de Lipnietzsee, à vingt minutes au nord de la ville, où je me suis baigné avec délice, approchant comme en rêve d’une île verte centrale. Du petit rat en bronze, sur un pont, censé enrichir qui le touche, et que tous les passants masturbent au point qu’il est jaune et luisant. D’un autre crépuscule vu depuis le toit d’un immeuble au fin fond de l’Oranienstrasse. D’une promenade au parc de Treptow. De reflets sans nombre. De l’enfant que presse à jamais contre son poitrail de deux mètres l’écrasant Soldat-libérateur de l’imposant Mémorial soviétique. De différents travellings de métro aérien jouant à cache-cache avec le fleuve et ses méandres (cela, c’était avant que nous laissions tomber le métro, qui coûte une blinde). De l’ivresse qu’il y a à filer comme le vent, sur un bon vélo et une avenue sans fin, parfaitement rectiligne et plate, la nuit, dans une ville inconnue, sur une royale piste cyclable tenant en respect des bolides qui, ô merveille, ne vous font même pas peur, et sous un crachin bienvenu après une journée de chaleur. 

Mais de cela, de toute façon, je n’avais pas d’image — les plus beaux des souvenirs manquent de photogénie. Heureusement, je n’étais pas seul.




(photo : Constance Zahn)



2 commentaires:

  1. Dommage pour vous la perte de cette carte mémoire mais pour nous (enfin pour moi) aucune frustration. Plaisir de vous lire... Je vous vois vous baigner dans les eaux pures de ce lac, je sens même votre ivresse à filer comme le vent sur votre bécane!
    Aurais-je vu, senti cela aussi intensément avec les images? Pas sûr.
    Écriture, chère amie chérie.
    (Oui, je sais, vos images étaient sûrement sublimes et très personnelles).

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  2. Vous avez tout compris (et je n'ai même pas eu besoin de vous faire un dessin… ;-)

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