jeudi 7 mars 2019

N'aurons-nous jamais ici bas qu'un pressentiment ?






Le narrateur est amoureux :

"Je regardai longuement la voûte étoilée, sous l'empire d'un sentiment profond. Mon âme était grave comme elle n'avait jamais été. Un pays lointain et inconnu gisait devant moi. J'allai vers la lumière qui brûlait sur ma table et l'offusquai de mon écran opaque afin que sa clarté ne vînt toucher que les parties arrière de la chambre et n'altérât pas l'éclat du ciel étoilé. Puis je retournai à la fenêtre et demeurai là. Le temps s'écoulait tandis que continuait la cérémonie de la nuit. Comme il est singulier, pensai-je, qu'à l'heure où disparaissent les beautés infimes de la terre et leur nombre infini, et que point l'incommensurable beauté de l'univers dans la splendeur muette et lointaine de la lumière, l'homme soit voué au sommeil avec la pluralité des autres créatures !   Serait-ce que nous ne disposons que de courts instants fugitifs et du seul espace énigmatique des songes pour lever les yeux vers ces grandeurs que nous pressentons, et qu'il nous sera peut-être donné de contempler de plus en plus près ? N'aurons-nous jamais ici bas qu'un pressentiment ? À moins qu'il ne soit accordé à la pluralité des hommes de regarder le ciel étoilé qu'en de courts moments insomnieux à seule fin que sa magnificence ne nous devienne point coutumière et garde ainsi sa grandeur ? [...] Qu'en est-il au fond ? Qui sait ce qu'est l'univers pour ces créatures qui n'ont que la nuit pour espace et ne connaissent point le jour ? Pour ces grandes fleurs fabuleuses des pays lointains, qui ouvrent les yeux quand le soleil a fui et laissent leur robe, généralement blanche, retomber flétrie quand l'astre a reparu ?" 

Adalbert Stifter, L'arrière-saison (1857), tome trois,
traduction de Martine Keyser (2000).



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire