"Cette
idée qu’il y a une langue française, existant en dehors des écrivains, et qu’on
protège, est inouïe. Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme
chaque violoniste est obligé de se faire son “son”. Et entre le son de tel violoniste
médiocre, et le son (pour la même note) de Thibaud, il y a un infiniment petit,
qui est un monde ! Je ne veux pas dire que j’aime les écrivains originaux qui
écrivent mal. Je préfère ― et c’est
peut’être une faiblesse ― ceux qui écrivent
bien. Mais ils ne commencent à écrire bien qu’à condition d’être originaux, de
faire eux-mêmes leur langue. La correction, la perfection du style existe, mais
au-delà de l’originalité, après avoir traversé les fautes, non en deçà […] La
seule manière de défendre la langue, c’est de l’attaquer, mais oui Madame
Straus ! Parce que son unité n’est faite que de contraires neutralisés, d’une
immobilité apparente qui cache une vie vertigineuse et perpétuelle […] Hélas
Madame Straus il n’y a pas de certitudes, même grammaticales. Et n’est-ce pas
plus heureux. Parce qu’ainsi une forme grammaticale elle-même peut être belle,
puisque ne peut être beau que ce qui peut porter la marque de notre choix, de
notre goût, de notre incertitude, de notre désir, et de notre faiblesse.
"
Marcel
Proust à Madame Straus
Vendredi
6 novembre 1908
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