Irréductiblement paradoxale
« Car la musique ne dit rien et on ne dit jamais rien sur la musique. Dire sur elle est insensé. Alors, on n'en dit rien. Jamais. A défaut de pouvoir la dire, on en parle. Mais parler de musique semble toujours nous plonger dans l'obscurité tant son sujet se dérobe. La musique se parle mais condamne à la glose tout commentaire. On n’y voit rien non plus. Pas d’image objective certaine, pas de contenu, pas d’objet. Ce n’est pas pour autant qu’elle ne désigne rien mais, lorsqu’elle se tait, à chaque fois, ne subsiste en nous qu’un sentiment vif, presque incommode, délicatement douloureux. Comme une peine. La musique luit et se dissipe, telle une illusion. Secrètement, elle résonne. Mais son écho vient toujours trop tard. La musique, c’est le deuil incessant de l’instant.
Roland Barthes disait : “La musique, c’est ce qui ne revient jamais”... Nous pourrions ajouter, c’est toujours avant. En somme, c’est toujours déjà fini. Écouter la musique, c’est comme une menace. La menace que cela soit “encore déjà fini”. Alors, on s’obstine. On écoute à nouveau. Et puis, ça n’est encore plus là. Et même, moins qu’avant. Et ça recommence […]
Mais composer n’est pas écouter [ …]
Lorsqu’un oiseau vole, l’air se divise autour de lui en minces filets. Chacune de ces invisibles traces en produit d’autres, et d’autres encore, qui se divisent à l’infini, engendrant de fines chaînes de tourbillons. L’air est sillonné d’innombrables surfaces vibrantes dont les périodes ne cessent jamais d’en devenir d’autres. Tout comme ces tourbillons d’air, composer, c’est se réjouir de cet infini mouvement. C’est un acte vitaliste. L’enjeu de la musique, son ravissement vrai, c’est devenir. Devenir une autre. La musique est un pur monde de devenirs, où tout est mouvement et retourne au mouvement qui l’a engendré. Composer, c’est ne jamais commencer, ni recommencer, ni finir. Composer, c’est continuer. »
Pascal Dusapin, Composer,
leçon inaugurale au Collège de France (2007)
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