« Merci de vous être souvenu de moi dans mon exil. J’ai lu Mimes deux fois en entier ; et maintenant, en écrivant, je le relis encore en puisant comme au hasard, une pièce à la fois, mon regard saisissant un mot et continuant, discipliné, jusqu’à la fin du fragment. C’est un livre gracieux, essentiellement gracieux, avec son agréable mélancolie envoûtante, son charmant parfum d’antiquité. En même temps, par ses qualités, il apparaît plutôt comme la promesse d’une chose à venir que comme une chose achevée en elle-même. Vous nous devez encore — et je l’attends impatiemment — une chose d’allure plus ample ; une chose placée sous une lumière diurne, pas crépusculaire ; une chose ayant les couleurs de la vie, pas les teintes fades d’une enluminure de temple ; une chose qui sera dite avec toutes les clartés et les trivialités de la langue parlée, pas chantée comme une berceuse à demi articulée. Elle ne vous plaira pas autant, quand vous nous la donnerez, mais elle plaira davantage aux autres. Elle formera un tout plus achevé, sera plus terrestre, plus nourrie, plus ordinaire — et pas aussi jolie, peut-être, peut-être même pas aussi belle. Personne ne sait mieux que moi que, en avançant dans la vie, nous devons renoncer à la joliesse et aux grâces. Nous ne parvenons à acquérir certaines qualités que pour les perdre ; la vie est une série d’adieux, même en art ; nos compétences elles-mêmes sont éphémères et évanescentes. »
R. L. S. à Marcel Schwob, Upolu, Samoa,
le 7 juillet 1894
(Achevé ce matin, avec émotion, l'extraordinaire
correspondance de Stevenson. La dernière lettre, écrite deux jours avant sa mort
brutale — embolie cérébrale
— à quarante-quatre
ans, comporte ces mots : Je ne suis pas né pour vieillir […] j'ai perdu le sentier qui vous permet de descendre
facilement et naturellement la pente. Je fonce tout droit. Et là où je dois
descendre, il y a un précipice.)
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