vendredi 3 mai 2013
Erreurs exploitées
[16 juin 1943]
D’ici [en prison] je suis plus à mon aise pour te rappeler ce que déjà je te disais très timidement chez toi : que si tu t’attaches à une chose importante, il faut te départir du ton badin et du ton violent. L’un et l’autre ne conviennent qu’à des exercices. Pour se faire la main. Mais pour être profond (pas d’autre mot à ma disposition) tu ne dois pas craindre de la lourdeur et l’on t’excusera parce qu’un scaphandrier à 80 mètres ne peut pas avoir les mouvements d’un valseur. Je ne veux pas dire que le début de ta nouvelle ne valait rien. Au contraire. C’était trop bien dit. Ce qui est trop bien dit ne nous mettra jamais sur une voie nouvelle. La poésie c’est des erreurs exploitées. Tu le sais mieux que moi. Alors mon petit Franz je crois qu’il faut t’attacher à faire des choses difficiles et de préférence impubliables parce qu’elles resteront forcément plus longtemps vers toi et que tu pourras les travailler. Naturellement tout ce que je te dis là je te le dis bien fraternellement. Tu sais comme j’aime ce que tu fais et que j’ai raison de l’aimer parce que je sais reconnaître l’authentique du toc. Mais ton habileté risque de t’entraîner vers une facilité brillante. Le brillant est tolérable lorsqu’il s’agit de diamants taillés ou de ciselures travaillées. La multiplicité des surfaces, leur enchevêtrement donnent la profondeur. Sinon, il ne faut pas craindre d’être terne et d’entrer dans la nuit.
[23 juin 1943]
La cellule est de plus en plus écœurante. Que de cons en cabane, ô mon honnête ami ! C’est à désespérer du vice !
Jean Genet, Lettres au petit Franz
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