lundi 13 mai 2013
Un rayon de soleil parfois
[1897]
J'ai vécu dans la nuit épaisse des écritures. J'écris ! Je me réalise comme je peux. Je voudrais dire beaucoup de choses et je ne suis peut-être que le petit grelot qui grelotte au collier d'un chien. Vous vous faites de moi des idées qui sont belles et qui pourraient me tourner la tête si je ne l'avais pas très solide, trop solide, bien attachée sur un cou large. Je ne veux d'ailleurs pas savoir ce que je suis. Ce que m'en a dit la vie jusqu'ici n'est pas très encourageant. Il est vrai que je n'ai pas besoin d'être encouragé et que les louanges, quand elles ne sont pas très justes, ou qu'elles ne viennent pas de la cordialité d'un ami me fâchent. Un rayon de soleil parfois me fâcherait. Je vis aussi isolé que vous-même, mais le peu que je vis, je le vis dix fois. Toutes mes sensations sont intenses et je respire encore aujourd'hui des fleurs d'il y a vingt ans, et je les vois, et les mains, et les visages, et les cieux.
Remy de Gourmont, Lettres à Francis Jammes
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