vendredi 11 mars 2016

Not far from heaven




Les bonnes actions sont toujours récompensées. C’est en donnant un coup de main lors du déménagement d’une amie (M-Jo, on peut écouter le duo qu’elle forme avec l’ami Flop, c’est charmant) — comme elle a plus d’amis que de meubles, je n’ai eu à monter qu’une table basse avant de passer à l’apéritif — que j’ai pu faire la connaissance d’un organiste atypique, Charlie O. (dont je vous recommande également le premier album, récemment pressé, c’est frais et léger), lequel j’avais déjà eu l’occasion d’entendre jouer (très bien) de l’orgue Hammond, il y a peu, en première partie du duo susnommé. Très vite nous parlions clavier, le courant passait, et Charlie m’expliquait la chance qu’il avait de pouvoir pratiquer régulièrement l’orgue de l’église Sainte-Marguerite, dans les quartiers sud de Marseille, grâce à l’amitié de son titulaire et la complaisance du curé. Ces instruments en effet ne s’approchent pas facilement. Or j’en avais toujours rêvé… Ça ne coûtait rien de demander, et puis Charlie était vraiment très sympathique. Est-ce qu’il serait possible de se glisser cinq minutes… Mais comment donc, me répondit-il. Jeudi prochain, si je voulais. 

Ce ne sont pas cinq minutes, mais deux grandes heures que Charlie m’a royalement offert, hier, de cinq à sept, dans la paroisse déserte au pied des collines. À tout seigneur tout honneur, et plutôt deux fois qu’une, j’ai testé d’abord la « Prière pour le salut de mon âme » de la Messe des Pauvres de Satie, puis le « Hodie mecum eris in paradiso » (tout à fait pertinent en l’occurrence) des Sept dernières Paroles de Haydn (ça le faisait). Puis je suis passé à mon chouchou Couperin, qui apparemment n’attendait que ça : ses pièces sonnaient merveilleusement, avec leurs longues notes tenues, leurs harmonies tuilées. Et je me sentais comme un poisson dans l’eau : l’instrument me dictait ma façon de jouer, je comprenais intuitivement qu’il me fallait phraser, articuler différemment, plus théâtralement, pour ainsi dire. J’ai ainsi enchaîné les Calotins et les calotines, le Petit-Rien, l’Exquise (particulièrement heureuse à l’orgue), les Fauvètes plaintives (même remarque ; j’avais choisi pour elles les sons le plus flûtés, et c’était magnifique), le Dodo ou l’amour au berceau, la Distraite, la Muse-Plantine, les Pavots, des préludes. Ignorant quels registres je devais solliciter, je décrivais le son que je désirais à Charlie, qui manipulait pour moi les tirettes, plus doux, plus plein, plus cuivré, plus clair. Un quart d’heure après mon arrivée, je lui ai demandé de me filmer, pour avoir une trace de l’aubaine ; soyez indulgents (mais je trouve le résultat plutôt pas mal, pour un puceau ; on remarquera, à la fin, mon air de ravi de la crèche ; j’allais répétant Wow après chaque morceau). 



À mesure que le soir tombait, l’ombre et le froid gagnaient les lieux, aussi saints que vides à part nous. Au moment de partir, en souriant d’un air mystérieux, Charlie m’a prié de tenir un accord et de ne pas le lâcher, puis il est allé éteindre l’instrument. Alors, sous mes doigts et tout autour, l’accord s’est longuement et drôlement dissous en harmonies inouïes dans le silence de l’église, éteinte elle aussi, un chant du cygne d’une bonne minute qui ressemblait à la décélération vertigineuse d’un chœur de fantômes sur un grand 8 limbique, conclusion parfaite d’un moment parfait.





3 commentaires:

  1. Dada en pleine joie mystique ! La musique est capable de tout...

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  2. "conclusion parfaite d’un moment parfait."
    Quand les belles rencontres permettent ce moment d'extase...

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