lundi 18 juillet 2016

Il est beau d'être un homme triste





Je rencontrais l'équipe de nuit qui sortait de la mine, leurs chapeaux en couvercle de marmite étaient noirs comme leur peau que perçaient les yeux rougis. Et je me demandais pourquoi certains hommes ont des travaux comme des punitions, tandis que d'autres vendent des glaces, des photographies, ont des travaux comme un amusement. 
Mais même ceux qui travaillent à la mine ne sont pas vraiment tristes. Tristes sont ceux qui ne travaillent pas et qui pensent. 
Il est beau d'être un homme triste, car il s'en trouve peu. 
Les hommes tristes ont fait les églises, les ponts. Les gens gais ont fait des cinémas, des gares, des magasins. On les voit passer par bandes dans des automobiles qui rient et tous ils rient. Alors je m'arrêtais sur la route et je les regardais en face en prenant mon air le plus triste pour leur faire honte. 
Car les personnes les meilleures sont tristes. Ma mère est pâle, très pâle et même si elle rit, une tristesse tremble dans son rire comme des gouttes sur une branche au soleil. Jésus et ses disciples, on ne les voit jamais se pousser des coudes et se tordre. Judas, lui, voulait le faire le malin et sortait pour aller rire tout seul. Et jamais on n'a vu quelqu'un penser à une chose difficile, aux bourgeons, au soleil, comme il monte et descend dans l'eau du ciel, en éclatant de rire. D'ailleurs, il n'y a que les tristes qui ont le bonheur. 
Les hommes disent : "Une vie de chien". Ils croient que les animaux sont humiliés et malheureux. Mais j'avais bien observé les animaux et je savais que les hommes se trompent, car jamais une fourmi ne s'arrête pour soupirer que la vie ne vaut pas la peine, et jamais un âne ne se dit : "Comme je suis vexé d'être un âne." Et quant aux plantes, elles sont si fières d'être ce qu'elles sont, qu'elles ne disent rien à personne. [...] 
Nous, nous sommes malheureux parce que nous ne sommes pas du tout contents d'être ce que nous sommes, sans non plus savoir ce que nous voudrions être. 

Luc Dietrich, Le Bonheur des tristes (1935)


1 commentaire: