samedi 1 décembre 2018

Métaphysiquement inattaquables




"J'irai bientôt dans la terre où vont les morts et peut-être je renaîtrais sous une autre forme, libre, florissant et débarrassé de toutes les misères humaines. Je serais peut-être le frisson glacial d'un vent d'avril, le courant d'une rivière indomptable, ou partie prenante de l'immémoriale perfection de quelque imposante montagne pesant sur l'esprit par son éternelle présence dans le lointain bleu. Ou peut-être une chose plus petite, le mouvement dans l'herbe d'une bête cachée vaquant à ses occupations par un jour jaune et sans air - il se pourrait bien que j'en sois responsable ou que j'y sois mêlé de près. Et même les odeurs, les bruits, les visions, les essences parfaites et mûries du jour, ces distinctions subtiles qui font retrouver dans le soir quelque chose du matin, il se pourrait bien que j'y sois pour quelque chose et que l'on y suspecte ma présence durable. 
(...)
Ou je serais peut-être une influence marine, quelque chose de lointainement maritime, une combinaison inconnue et inédite de soleil, de lumière et d'eau, quelque chose de tout à fait extraordinaire. Il y a dans le vaste monde des tourbillons de fluide et des existences vaporeuses, métaphysiquement inattaquables, qu'on ne peut ni voir ni interpréter et dont le temps ne passe pas, qui ne valent que par leur incompréhensible mystère et ne sont justifiées que par leur aveugle et absurde incommensurabilité. Peut-être deviendrais-je la qualité première et la quintessence de l'âme d'un tel fluide. J'appartiendrais à un rivage ou je serais l'angoisse de la mer quand elle éclate en vagues de désespoir."

Flann O'Brien, Le Troisième Policier (1940), chapitre X

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