mardi 14 octobre 2008
Trois histoires d'almanach
Le rêveur précautionneux
Une fois, un étranger passa la nuit dans la bourgade de Witlisbach, dans le canton de Berne ; et lorsqu’il voulut se mettre au lit et eut ôté jusqu’à sa chemise, il sortit d’abord de son baluchon une paire de pantoufles, les chaussa, les fit tenir avec des fixe-chaussettes et se coucha ainsi dans son lit. Alors un autre voyageur qui partageait sa chambre lui demanda : “Cher ami, pourquoi faites-vous cela ?” A quoi le premier répliqua : “C’est par prudence. Car j’ai une fois, en rêve, marché sur un éclat de verre. Et j’en ai ressenti, dans mon sommeil, de telles douleurs, que je ne voudrais plus, pour rien au monde, dormir pieds nus.”
Souvarov
L’être humain doit être capable de se maîtriser soi-même, sinon il n’est pas brave et respectable, et ce qu’il a une fois pour toutes reconnu comme juste, il doit aussi le faire, et non une fois pour toutes, mais toujours. Le général russe Souvarov, que les Turcs et les Polonais, les Suisses et les Italiens connaissent bien, avait le commandement sévère et rigoureux. Mais ce qu’il y avait de plus remarquable, il se plaçait sous son propre commandement, comme s’il était un autre et non Souvarov lui-même, et très souvent ses adjudants devaient lui donner l’ordre de faire ceci ou cela en son propre nom, ce qu’il exécutait alors ponctuellement. Un jour, il était en rage contre un soldat qui avait négligé quelque chose dans son service et commençait déjà à le frapper. Alors un adjudant rassembla son courage et, pensant rendre un bon service au général et au soldat, il s’approcha en courant et dit : “Le général Souvarov a ordonné qu’il ne fallait jamais se laisser dominer par la colère”. Immédiatement Souvarov céda et dit : “Si le général l’a ordonné, il faut obéir”.
Gratitude
Pendant la bataille de Trafalgar, alors que les balles sifflaient et que les mâts craquaient, un matelot trouva encore le temps de se gratter où cela le démangeait, c’est-à-dire à la tête. Soudain, joignant le pouce et l’index, il glissa l’index et le pouce réunis le long d’un cheveu et fit tomber au sol une pauvre petite bête qu’il avait faite prisonnière. Mais comme il se baissait pour lui donner le coup de grâce, un boulet de canon ennemi lui frôla le dos, ― paf ! ― dans le navire d’à côté. Alors le matelot fut saisi d’un sentiment de gratitude et, convaincu qu’il aurait été écrasé par ce boulet s’il ne s’était pas penché vers la petite bête, il la ramassa délicatement au sol et la replaça sur sa tête. “Parce que tu m’as sauvé la vie”, dit-il, “mais ne te laisse pas attraper une seconde fois, car je ne te connaîtrai plus”.
Johann Peter Hebel (1760-1826), L’Ecrin de l’ami rhénan (1811)
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